Chimiothérapie : le cap de la perte des cheveux

CANCER - L'alopécie (perte des cheveux) est un effet secondaire presque inévitable d'une chimiothérapie. Trahissant, aux yeux du patient et de ses proches, la violence du combat contre la maladie, cet état est tout particulièrement difficile à vivre pour une majorité de femmes. La chevelure possède en effet une charge symbolique, culturelle, voire érotique, extrêmement forte. Sa perte peut ainsi être vécue comme la disparition d'une part de sa féminité.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Chimiothérapie : le cap de la perte des cheveux. (© prudkov - Fotolia.com)
Chimiothérapie : le cap de la perte des cheveux. (© prudkov - Fotolia.com)  —  © Fotolia

La chevelure, une parure chargée de symboles

Peigner les cheveux de quelqu'un d'autre, se faire coiffer les cheveux, prendre soin de soi… du temps consacré au paraître, consacré à l'insouciance. (Illustration : ''Jeune fille coiffant ses cheveux'' - Renoir, 1894)
Peigner les cheveux de quelqu'un d'autre, se faire coiffer les cheveux, prendre soin de soi… du temps consacré au paraître, consacré à l'insouciance. (Illustration : ''Jeune fille coiffant ses cheveux'' - Renoir, 1894)

Les hommes préfèrent-ils les femmes aux cheveux longs ? A en croire une petite étude britannique de 1994, une grande majorité de femmes en seraient persuadées. Pourtant, une étude de psychologie conduite en 2008 sur 130 hommes suggérait que la longueur des cheveux n'avait que peu d'impact sur l'évaluation de l'attractivité féminine.

Mais cette masse changeante et ondulante possède de grands pouvoirs : alors que les autres traits du visage ne peuvent être modifiés qu'en surface à l'aide de maquillage, le volume de la chevelure peut être modelé dans son ensemble(1). Ruisselant en cascade, de part et d'autre de la face, la chevelure devient le cadre qui met en valeur ses traits. Ses reflets chatoyants lui apportent de la lumière. Une partie de la personnalité s'exprime également dans les libertés prises dans la coiffure ou les accessoires ajoutés à cette parure...

Chevelure et culture

Les cheveux longs ont longtemps été l'apanage de celles qui pouvaient en prendre soin - c'est-à-dire les membres des classes les plus aisées, de l'antiquité égyptienne à la noblesse de la Renaissance européenne. Les belles dames - fardées, poudrées, bien vêtues - avaient également une chevelure fournie. Plus généralement, dans les sociétés occidentales, la longueur des cheveux est associée à un imaginaire très sexualisé - c'est-à-dire culturellement ancré comme un trait a priori distinctif des sexes dans la communauté. Privilège symbolique des femmes, la chevelure devient, d'autant plus facilement, objet d'attention, d'intérêt et de projection du désir que l'on peut porter pour une femme...

Le cheveu trouve ici une part de sa charge érotique. De nombreuses cultures imposent ou ont d'ailleurs imposé aux femmes de ne pas trop jouer de cet avantage. Dévoiler sa chevelure y est un acte réservé à la sphère privé. Longtemps, en France, chapeau ou fichu noué sur leur tête était de mise pour les sorties en public.

Cet attribut est, culturellement, si fortement indissocié de la féminité qu'en priver une femme a longtemps été un moyen de lui infliger une disgrâce publique – la tonte des femmes collaboratrices, à la Libération, exposait à la vue de tous leur déshonneur, tout en les amputant de l'un des charmes dont elles avaient pu tirer avantage sous l'occupant.

Une mèche de cheveu est offerte en gage d'amour, dissimulée dans un médaillon, chérie et préservée comme une partie de l'être aimé - la seule qui puisse être transmise par delà les distances.

Le choc de la perte des cheveux

''Chute de cheveux : un effet secondaire de la chimiothérapie''. Reportage extrait du dossier ''Quand la maladie entraîne la chute des cheveux'' du 8 octobre 2012
''Chute de cheveux : un effet secondaire de la chimiothérapie''. Reportage extrait du dossier ''Quand la maladie entraîne la chute des cheveux'' du 8 octobre 2012

La puissance de cet imaginaire participe de la violence du choc psychologique qui accompagne souvent la perte des cheveux, aux premiers temps de la chimiothérapie.

L'alopécie est aussi une "mise à nu de la maladie" (voir le reportage ci-dessus). Elle rend visible et concrète un combat intérieur invisible (voir encadré).

Or, tout le monde n'est pas forcément au courant de la maladie, et tout le monde n'a pas à l'être.

Pour éviter d'avoir sans cesse à s'expliquer, mais aussi pour ne pas subir la maladresse ou la condescendance des uns ou des autres, pour faire face au choc précédemment évoqué, se sentir soi-même plus en vie, plus en forme, plus attirante, pour se plaire, de très nombreuses femmes font le choix de dissimuler leur alopécie par un foulard, un bandeau ou une prothèse capillaire.

Quand bien même c'est le traitement et non le développement de la tumeur qui produit la chute des cheveux, celle-ci devient pour le patient (et est devenue peu à peu aux yeux de la société) le symbole même de la maladie(2).

Il existe des prothèses capillaires à tous les tarifs. Elles sont prises en charge par la Sécurité sociale à hauteur de 125 euros et certaines mutuelles prennent en charge le dépassement.

"La plupart des femmes qui viennent me voir ont perdu les points de repères dans leur féminité", nous confie Andrée Chantrel, onco-esthéticienne. "Face à la perte des cheveux, des cils, des sourcils, parfois des ongles, elles pensent qu'elles ne peuvent plus rien faire. Elles ont perdu leurs points de repère. Nous les aidons à retrouver confiance, à réapprendre à définir leur féminité, sur leur visage particulier, sur leur morphologie."

"Quand, physiquement, vous faites face à cette perte d'identité féminine, vous n'êtes plus forte pour faire la guerre à la maladie", insiste-t-elle. "Il s'agit de retrouver un dynamisme féminin, pour faire face à ce qui nous entoure ! Nous sommes dans une société où notre image est vecteur de tous les échanges, qu'ils soient familiaux, professionnels... Si notre apparence physique est touchée, il est très difficile d'être à l'aise. Si l'on nous redonne confiance, on nous donne un moyen de nous protéger."

Dans le cadre d'entretiens menés en 2012 par des chercheurs siciliens, des patientes guéries du cancer avaient confié que "leur perruque avait été une amie, un compagnon de voyage" dans cette épreuve.

Certaines femmes voient surtout dans leur prothèse capillaire le symbole de leur combat. Un symbole qu'elles peuvent souhaiter passer comme un flambeau, à d'autres patientes anonymes... A cette fin, l'Institut du sein a récemment créé la plateforme Solidarité Perruques.

Anticiper l'alopécie

Des programmes d'accompagnement ont été développés ces dernières années pour aider les femmes à visualiser leur visage sans cheveux, à l'aide de logiciels informatiques, dans le cadre d'un suivi spécifique. D'autres protocoles de suivi psychologique existent également, qui semblent aider les patients à se préparer à l'épreuve. "Même quand elle est anticipée, l'alopécie est vécue comme un événement traumatisant", insistent de nombreux psychologues.

Une reconquête de ''l'identité féminine''

 La perte des cheveux n'est que la partie la plus apparente des conséquences physique de la chimiothérapie.

"Au-delà de la question des cheveux, qui est réglée par une prothèse capillaire, c'est généralement le teint, les cils et les sourcils qui gènent le plus", nous explique Andrée Chantrel. "Les cils et les sourcils, surtout : lorsqu'elles ont appris à les redessiner, tout leur semble possible, après. Il y a, ensuite, beaucoup de travail sur le maquillage, et sur les soins d'hydratation, très précieux en cancérologie, car la peau souffre énormément. Ultérieurement, on peut décider de corriger la prothèse capillaire, pour l'adapter à la morphologie du visage."

"Il faut au moins un an avant de retrouver une belle peau, et des cheveux d'une longueur qui permet de refaire une coupe", poursuit-elle. "A ce moment, on découvre qu'ils n'ont plus la même couleur, plus la même texture : la maladie nous a changé. Et c'est ce nous disons, très tôt, aux femmes : c'est un moment où l'on peut évoluer esthétiquement."

De fait, à chaque rencontre, un nouveau visage se dessine, et les changements physiques accompagnent les évolutions psychologiques de chaque femme.

"Quand on parle d'identité féminine qui est bafouée, de perte de confiance en soi, on parle aussi d'une chose très importante, que les femmes abordent essentiellement quand nous sommes seules avec elles", explique l'onco-esthéticienne. "En évoquant les problèmes de peau, la sécheresse épidermique et celle des muqueuses oculaires, nasales, on en vient inévitablement à parler des autres problèmes qui se posent, et qui concernent la sexualité. Ce sont des questions qui ne sont que très rarement abordées avec les oncologues. Mais là encore, c'est un enjeu clef, pour reprendre confiance en soi, reprendre son corps en main."

(1) Des études récentes ont montré que pour identifier un visage, le regard ne s'attarde presque jamais sur les cheveux. De l'avis du cerveau, la chevelure semble quelque chose de trop changeant pour être un élément à prendre en compte pour définir l'identité d'un individu…

(2) Des études de psychologie ont révélé que les femmes aux cheveux longs se sentent en meilleure santé ; d'autres travaux ont également démontré que, dans les sociétés occidentales, les femmes tendent à se couper les cheveux de plus en plus court en vieillissant.

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Sources :

  • Social and cultural dimensions of hair loss in women treated for breast cancer. T.G. Freedman Cancer Nurs. 1994 
  • 'My wig has been my journey's companion': perceived effects of an aesthetic care programme for Italian women suffering from chemotherapy-induced alopecia. M. Ferrara et coll. Eur J Cancer Care, 2012 doi: 10.1111/j.1365-2354.2012.01337.x.
  • Anticipating an altered appearance: women undergoing chemotherapy treatment for breast cancer. Frith et coll. Eur J Oncol Nurs. 2007
  • A narrative study of chemotherapy-induced alopecia. J. Williams et coll. Oncol Nurs Forum. 1999
  • An evaluation of a computer-imaging program to prepare women for chemotherapy-related alopecia. EL. McGarvey et coll. Psychooncology. 2010 doi:10.1002/pon.1637.

VOIR AUSSI

"Dans le cadre des programmes de soins esthétiques, [les patientes] recoivent un soutien qu'elles n'auraient pas cherché autrement", insistent les auteurs de l'étude sicilienne précédemment citée. Un avis partagé par Andrée Chantrel, pour qui "chaque rencontre avec un spécialiste esthétique donne aux patientes l'occasion de trouver des armes supplémentaires, contre la maladie, mais aussi pour faire face aux autres, et se reconstruire."