Vivre plus vieux et en meilleur santé ? Promesse tenue chez... la souris

Des biologistes nord-américains ont cherché à savoir ce qu'il adviendrait si l'on supprimait de l'organisme de souris saines les cellules qui, avec l'âge, avaient perdu leur capacité de se diviser. Le résultat présenté ce 3 février dans la revue Nature est saisissant : les heureuses bénéficiaires du traitement ont vécu plus longtemps que leurs congénéres, et en meilleure santé. Reste à savoir si ces résultats sont généralisables à l'homme...

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Vivre plus vieux et en meilleur santé ? Promesse tenue chez... la souris

Exceptées les cellules cancéreuses, nos cellules ne peuvent se diviser qu’un nombre limité de fois. Lorsqu’elles perdent cette capacité, elles sont dites "sénescentes" [1]. Si elles restent fonctionnelles par ailleurs, elles émettent parfois à ce stade divers signaux chimiques potentiellement délétères pour leurs voisines (des molécules pro-inflammatoires, notamment). Toutefois, plusieurs travaux de recherche [2] suggèrent qu’une telle activité participerait à lutter contre la progression des tumeurs. Ces cellules "limitées" seraient en outre impliquées dans certaines phases du développement embryonnaire (elles aideraient à sculpter certaines parties du corps) ou dans le phénomène de cicatrisation.

Au début de la décennie, des recherches sur des souris modèles de la progéria (maladie caractérisée par un vieillissement très précoce de l’organisme [3]), génétiquement modifiées pour vieillir de façon prématurée, ont révélé une intéressante facette de ces cellules sénescentes. Les auteurs de ces travaux ont ajouté au génome de ces animaux des séquences s’exprimant dans une cellule uniquement lorsque celle-ci atteignait le fameux stade. Les cellules "activées" devenaient sensibles à une enzyme injectable, au contact de laquelle elles… mouraient.

Un traitement par cette enzyme eut des effets spectaculaires sur les souris modèles de la progéria, puisque leur vie fut considérablement allongée, et de nombreux symptômes de la maladie significativement amoindris ou retardés.

Et chez des souris "normales" ?

Ce 3 février 2016, les auteurs de ces recherches ont publié les résultats d’une version améliorée de l’expérience, puisqu’elle porte sur des souris… normales. Mise à part la manipulation génétique permettant de cibler les cellules sénescentes avec l'enzyme, ces rongeurs n’avaient pas grand-chose d’original.

Durant six mois, tous les quinze jours, les chercheurs ont administré l’enzyme aux animaux.

Comparées à des souris témoins, elles sont apparues globalement en bien meilleure santé : meilleures fonctions rénales, cœurs plus résistants au stress et - fait plus inattendu - âge de développement de cancers significativement plus tardif. Les rongeurs ont même vécu plus vieux que leurs homologues non traités, d'une durée estimée entre +20% et +30%.

Les biologistes notent que certains organes, au nombre desquels le foie et le côlon, ont été "réfractaires au traitement". Ils observent par ailleurs un allongement très net du temps de cicatrisation chez l’ensemble des animaux traités.

Dans plusieurs articles et éditoriaux accompagnant cette publication, d’autres chercheurs spécialistes du vieillissement saluent ces résultats. En effet, si les données présentées étaient confirmées, elles suggéreraient que les cellules sénescentes ne sont pas indispensables à la protection de l’organisme, tout au moins dans une partie de nos organes. Surtout, elles laissent entrevoir une méthode plausible d'amélioration de l’espérance de vie en bonne santé… tout du moins pour les souris.

Source : Naturally occurring p16Ink4a-positive cells shorten healthy lifespan. D.J. Baker et coll. Nature, 3 fev. 2016. doi:10.1038/nature16932


[1] La sénescence cellulaire a été décrite pour la première fois en 1961 par les microbiologistes étasuniens Leonard Hayflick et Paul Moorhead. Des expériences ultérieures montreront que cette sénescence est généralement liée à un raccourcissement progressif des extrémités des chromosomes, à chaque division, jusqu’à ce que les parties codantes de l’ADN soient touchées. Diverses altérations de l’ADN conduisent à un résultat similaire.

[2] Pour une synthèse récente de la recherche sur les rôles potentiels de ces cellules, on pourra se référer à cet article très complet (en anglais) : Physiological and pathological consequences of cellular senescence. D.G.A. Burton, V. Krizhanovsky. Cellular and Molecular Life Sciences, 31 juillet 2014. doi :10.1007/s00018-014-1691-3.

[3] Aussi appelée syndrome de Hutchinson-Gilford, la progéria est une maladie génétique rarissime (une centaine de cas dans le monde) et jusqu'à présent incurable, caractérisée par un vieillissement prématuré débutant dès la période néonatale. Les enfants atteints présentent une alopécie, une peau fine et leur stature ne connaît qu'une croissance lente. Leurs capacités cognitives ne sont en revanche nullement altérées. Ainsi à 10 ans, ces enfants auront l'apparence d'un vieillard. Les patients décèdent précocement, vers 12-13 ans, d'infarctus du myocarde ou d'AVC.