Prix Nobel de médecine 2017 : quatre questions aux spécialistes

Ce 2 octobre, des travaux pionniers sur les rythmes biologiques ont été salués d’un prix Nobel. Quelles avancées découlent de ces découvertes ? Avons-nous tout compris de ces processus biologiques ? Deux experts de l'équipe "Gènes Circuits Rythmes et Neuropathologies", au Laboratoire Plasticité du Cerveau (CNRS/ESPCI), répondent à nos questions.

Florian Gouthière
Rédigé le
En vignette, de gauche à droite : Serge Birman, responsable de l'équipe "Gènes Circuits Rythmes et Neuropathologies" au laboratoire Plasticité du Cerveau, et André Klarsfeld, chercheur au même laboratoire. En bas : les lauréats du prix 2017.
En vignette, de gauche à droite : Serge Birman, responsable de l'équipe "Gènes Circuits Rythmes et Neuropathologies" au laboratoire Plasticité du Cerveau, et André Klarsfeld, chercheur au même laboratoire. En bas : les lauréats du prix 2017.

Ce 2 octobre, les chercheurs Hall, Rosbash et Young ont reçu le prix Nobel de physiologie et médecine pour leurs travaux sur les rythmes circadiens. En quelques mots, quels mécanismes ont été identifiés par ces chercheurs ?

Serge Birman, directeur de recherche, responsable de l'équipe "Gènes Circuits Rythmes et Neuropathologies" au laboratoire Plasticité du Cerveau Ces chercheurs ont identifié chez un organisme modèle, la mouche drosophile, les gènes qui permettent le fonctionnement de l'horloge circadienne, c'est-à-dire le mécanisme interne à notre organisme qui fait que notre activité (veille/sommeil, etc.) et une part de nos fonctions physiologiques (production d'hormones, pression artérielle..) varient au cours de la journée avec une périodicité d'environ 24 heures.

André Klarsfeld, enseignant-chercheur au laboratoire Plasticité du cerveau [Précisons que les versions mutantes du] gène « period », le gène qu’ils sont les premiers a avoir séquencé, [avaient] été obtenus et caractérisés par Ronald Konopka et Seymour Benzer [en 1971].

Serge BIRMAN – Ils ont [ensuite] identifiés les gènes qui permettent de synchroniser cette horloge interne avec les conditions environnementales extérieures sous l'effet de la lumière (pour s'adapter par exemple aux journées plus courtes en hiver, etc), ainsi que les cellules du cerveau qui constituent cette horloge et dont l'activité oscillante permet une telle régulation circadienne. 

Quelles avancées médicales ont permis les découvertes de Hall, Rosbash et Young ?

André Klarsfeld – Elles ont permis de commencer à appréhender les causes directes de troubles spécifiques comme le syndrome familial d’avance de phase du sommeil, ou des troubles liés au décalage horaire (« jet-lag »). Mais elles ont surtout conduit à la découverte d'une dimension totalement inattendue de la physiologie : les organes de tout organisme vivant, végétal comme animal, contiennent tous des horloges, qui communiquent entre elles. Le fonctionnement intégré du "réseau circadien" (que l'on pourrait appeler "orchestre circadien", en termes plus imagés !) est une des frontières actuelles de la connaissance en biologie.

Serge Birman – L'étude des gènes identifiés par ces chercheurs montrent que la rythmicité de leur niveau d'expression pourrait avoir une influence sur le décours de certaines maladies, en rapport certainement avec le fait que certaines thérapies sont bien plus efficaces si elles sont effectuées à des moments choisis de la journée (voir, à ce sujet, les travaux du Dr Francis Lévi concernant la thérapie anti-cancéreuse). On peut aussi espérer que ces travaux permettront une meilleure prise en charge des problèmes de sommeil, une amélioration des conditions de vie des personnes âgées ou de mieux soigner les patients atteint de maladies neurodégénératives comme par exemple la maladie de Parkinson. 

Ces mécanismes sont-ils aujourd’hui tous bien compris, ou font-ils encore l’objet de recherches ? Que reste-t-il à découvrir ?

Serge Birman – Ces mécanismes circadiens font l'objet de recherches très actives aujourd'hui, en particulier pour évaluer leur importance potentielle comme cibles thérapeutiques dans de nombreuses maladies. Les recherches fondamentales se portent aussi sur la compréhension des mécanismes encore mystérieux permettant à un petit nombre de cellules cérébrales de l'horloge circadienne d'orchestrer par leurs oscillations l'activité de tout l'organisme.

André Klarsfeld – Excepté chez les cyanobactéries (bactéries photosynthétiques), on ne sait pas exactement ce qui détermine la période des [différentes] horloges circadiennes. Cette période est proche de 24 heures [pour chacune de ces horloges], mais est généralement légèrement différente. Au sein de chaque cellule, l’intégration de l'horloge avec le métabolisme énergétique, dans un sens comme dans l’autre, reste à déchiffrer. L’origine évolutive des horloges circadiennes est également débattue.

Vous attendiez-vous à ce que l’étude du rythme circadien soit ainsi récompensée par le comité Nobel ?

Serge Birman – Absolument ! L'importance de ces recherches pour la compréhension du vivant ne fait aucun doute. Ce prix Nobel aurait pu aussi être décerné à Seymour Benzer, qui est décédé il y a une dizaine d'années [1] et qui a été à l'origine, par ses travaux pionniers, des réalisations extraordinaires de ces trois chercheurs.

André Klarsfeld – Nous étions nombreux à penser que ce serait justifié, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’une dimension quasi-universelle du vivant, trop longtemps méconnue sinon méprisée. Les drosophilistes (les chercheurs qui utilisent la mouche drosophile comme animal modèle, NDLR) ont en plus une émotion particulière à voir récompensé, une fois encore, leur organisme préféré. Enfin, même si c’est un peu anecdotique, la collaboration entre Jeff Hall et Michael Rosbash, et leur compétition (au moins initialement) avec Michael Young, possédaient tous les ingrédients d’une grande histoire...

 

Propos recueillis par courriel le 2 octobre 2017 par Florian Gouthière


[1] Le prix Nobel ne peut être attribué à titre posthume, NDLR.