Prix Nobel de médecine 2016 : trois questions aux spécialistes

Ce 3 octobre, la découverte de l’autophagie a été saluée d’un prix Nobel. L’autophagie, c’est la capacité qu’ont nos cellules de recycler leur contenu pour disposer d’un surcroît d’énergie ou pour corriger les dysfonctionnements internes. Quelles avancées découlent de cette découverte ? Avons-nous tout compris de ce processus biologique ? Trois experts répondent à nos questions.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Au-dessus de la photographie de Yoshinori Ohsumi, les portraits de  (de gauche à droite) : Frank Lafont, Isabelle Vergne et Marc Bourouis, chercheurs spécialistes de l'autophagie.
Au-dessus de la photographie de Yoshinori Ohsumi, les portraits de (de gauche à droite) : Frank Lafont, Isabelle Vergne et Marc Bourouis, chercheurs spécialistes de l'autophagie.

Yoshinori Ohsumi a reçu ce 3 octobre le prix Nobel de physiologie/médecine pour sa découverte de l’autophagie. Quelles avancées médicales ont permis ses découvertes?

Isabelle Vergne, chargée de recherche au CNRS et secrétaire du Club Francophone de l'Autophagie (CFATG)Grâce à ses découvertes, nous avons commencé à comprendre l'importance de ce processus biologique pour la santé des cellules et de l'organisme tout entier. En éliminant et en recyclant les déchets présents à l'intérieur de la cellule, l'autophagie permet à la cellule d'être en bonne santé. Maintenant, on sait que son dysfonctionnement peut être associé à des maladies graves comme le cancer, la maladie de Parkinson ou des infections à bactéries et virus.

Frank Lafont, chercheur en Microbiologie Cellulaire à l’Inserm/CNRS/Institut PasteurCes avancées ont permis de mieux comprendre des mécanismes cellulaires impliqués dans des maladies dans lesquelles les processus de dégradation sont importants. Par exemple, dans les infections, il est important de dégrader la bactérie qui rentre dans la cellule pour s’y multiplier. Dans les maladies neurodégénératives, il est important de pouvoir dégrader les agrégats, (à l'origine de nombreuses maladies neurodégénératives ndlr). En cancérologie, l’autophagie est inhibée dans le processus de genèse tumorale, et l’expression des gènes de l’autophagie peut être altérée dans certains cancers. [Pour cette raison], certains anticancéreux stimulent l’autophagie. En immunologie, l’autophagie intervient dans la présentation des antigènes [à la cellule par certaines structures].

Marc Bourouis, directeur de recherche en biologie au CNRS – Les avancées médicales directes sont encore à leurs balbutiements. On est aujourd’hui à cibler le processus autophagique [avec des molécules actives], soit en vue de les stimuler, soit au contraire pour les ralentir, et l’on mesure quels sont les bénéfices obtenus. Cependant la recherche a clairement identifié les processus normaux ou altérés par [plusieurs] maladies. On pense d’abord à l’ensemble des maladies neurodégénératives, telles que Huntington, Alzheimer et Parkinson, caractérisées par la formation d’agrégats protéiques spécifiques, mais toxique aux neurones). Dans certains cas, la stimulation de l’autophagie [pourrait] améliorer où éliminer les agrégations. Il en est de même pour la fibrose hépatique et certaines formes de myopathie. Des défauts d’autophagies contribueraient à la prédisposition au diabète de type II et à l’obésité, fournissant des pistes quant à la genèse que ses maladies. […] [La maladie de Crohn] semble aussi avoir son origine dans un défaut de régulation/activation de l’autophagie dans les cellules intestinale au contact permanent de bactéries. […] Mais l’autophagie reste à la base de l’équilibre du métabolisme cellulaire. Agir en bloquant largement ses fonctions reste pour l’instant assez difficile sans courir de risques secondaires.

L’autophagie intéresse-t-elle encore activement la recherche ?

Frank Lafont – Il y a encore des questions cruciales à résoudre, comment celles relatives à la formation l’auto-phagosome (c’est-a-dire la structure intracellulaire chargée de livrer les structures à dégrader dans le lysosome [1]). Comment fusionne-t-il avec le lysosome ? Par ailleurs, on recherche toujours des gènes dont l’expression est altérée dans des maladies, par analyse génétique. Et surtout, on cherche à savoir comment on peut résoudre des désordres physiopathologiques en manipulant l’autophagie.

Isabelle Vergne – L'autophagie est complexe, nous devons donc mieux comprendre son rôle dans différents contextes pathologiques avant de pouvoir la manipuler. De plus nous n'avons pas encore de médicaments permettant de moduler son activité de façon spécifique. En France, toute une communauté scientifique, le Club Francophone de l'Autophagie (CFATG, constitué d’une vingtaine d’équipes), cherche à améliorer les connaissances sur l'autophagie afin de pouvoir, un jour, proposer de nouvelles thérapeutiques ou des vaccins.

Marc Bourouis – Aujourd’hui l’intérêt aux études relatives à l’autophagie [ne diminue pas], tant il semble que ses rôles dans la physiologie sont plus importants et plus fondamentaux que prévu. [Les équipes du CFATG travaillent sur des] modèles d’études variés, allant des organismes modèles tels que la levure, le ver ou la mouche – mais aussi la souris et les cellule en cultures humaine – jusqu’à l’étude de nombreuses pathologies humaines qui semblent mettre en œuvre des mécanismes de l’autophagie.

Vous attendiez-vous à ce que l’autophagie soit ainsi récompensée par le comité Nobel ?

Isabelle Vergne – Est-ce une surprise ? Oui et non. L'autophagie est tellement essentielle à la cellule qu'il fallait que la découverte des gènes de l'autophagie soit récompensée. Mais bien sûr je ne m'attendais pas à avoir la bonne nouvelle cette année !

Marc Bourouis –  Tout à fait. Chaque année, plusieurs champs des recherches de biologie fondamentale arrivent au niveau mérité pour la récompense du Nobel. L’autophagie est notoirement reconnue comme ayant montré des avancés significatives, tant au niveau des découvertes fondamentales de compréhension des ses mécanismes (avec un accroissement très important du nombre de publications scientifiques depuis les années 2000) qu’au niveau de l’impact sur le déroulement de pathologies (qui trouvent donc des nouvelles cibles de traitement potentielles).

Frank Lafont Depuis les années 2000, ce sujet est vraiment venu en pointe des recherches. Il faut comprendre que, connaissant les gènes impliqués – grâce à Yoshinori Ohsumi – il est devenu possible de les manipuler pour comprendre comment les protéines qu’ils codent agissent. Comme l’autophagie est un mécanisme cellulaire fondamental que l’on retrouve de la levure à l’homme en passant par les plantes, les implications sont nombreuses d’un point de vue fondamental, mais aussi pour la santé humaine, d’où le Nobel.

Propos recueillis par Florian Gouthière


[1] Le compartiment intracellulaire dans lequel la dégradation a lieu, NDLR.