L'essai clinique de Rennes mené en dépit du bon sens ?

L'accident mortel survenu en janvier lors d'un essai clinique à Rennes est "clairement lié" à la toxicité de la molécule testée, selon la version finale d’un groupe d’experts mandaté par l'Agence du médicament (ANSM), présenté le 19 avril. Les auteurs déplorent que le "bon sens" ait souvent été bafoué dans cette affaire.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
L'essai clinique de Rennes mené en dépit du bon sens ?

Cet accident "inédit", qui a fait un mort parmi les volontaires, apparaît "clairement lié à la molécule testée", conclut le groupement d’experts, après plus de 600 heures passées sur le dossier. "L'hypothèse la plus vraisemblable retenue est celle d'une toxicité propre de la molécule".

Pour le Pr Bernard Bégaud, président du groupe d’experts, "les règles semblent globalement avoir été respectées", mais celles de "bon sens" ont été bafouées à plusieurs reprises.

Une molécule à l’intérêt improbable

La molécule BIA 10-2474 du laboratoire portugais Bial, testée à Rennes en janvier, avait principalement des visées antidouleur. Mais, comme le souligne le Pr Bégaud, il s’agissait "[d’une] molécule moins efficace qu'un médicament [déjà commercialisé]" (un point déjà établi lors d’essais préliminaires), et "pas plus efficace que plusieurs molécules de la même famille qui avaient été abandonnées pour cause d'inefficacité", dit-il à l'AFP.

"D'où la première recommandation du rapport qui est, au minimum, de s'assurer qu'un médicament a une chance de servir à quelque chose", relève-t-il. "Justifier l'intérêt d'une molécule devrait être un préalable avant d'autoriser un essai".

Des doses augmentées sans analyser les données déjà recueillies

Les experts estiment par ailleurs que la toxicité de BIA 10-2474 a été facilitée par sa faible capacité à se fixer sur sa cible, l'enzyme FAAH. Ils évoquent aussi "une probable accumulation progressive au niveau cérébral" de la molécule, en raison des doses répétées de 50 mg données aux victimes.

Le rythme du test, mené "tambour battant" dans ses phases avancées, est "surprenant alors que le début de l'essai a été très prudent", remarque le Pr Bégaud. Ils jugent "peu compréhensible" l’accélération de l'augmentation des doses. Le passage trop rapide de 20 à 50 mg chez les volontaires recevant des doses répétées "a vraisemblablement joué un rôle important dans l'accident", estiment-ils.

Les experts jugent nécessaire d'espacer l'enchaînement des tests avec les différents groupes de volontaires, voire d'éviter d'exposer tous les sujets d'un groupe au même instant. Ils souhaitent aussi que les données utiles recueillies lors des étapes précédentes soient bien prises en compte pour poursuivre l'essai, ce qui n'a pas été le cas à Rennes.

Des documents incomplets

Les experts pointent par ailleurs "un assez grand nombre d'erreurs", de "traductions erronées" et même "d'omissions" dans les documents mis à disposition par le laboratoire Bial décrivant leur molécule. Ils pointent en particulier la disparition de la comparaison de son efficacité avec un médicament déjà disponible. Ils jugent que telles informations devraient systématiquement être portées à la connaissance des agences sanitaires et des centres d'essais.

D’autres précautions élémentaires n’auraient pas été prises, selon le rapport. Ainsi, les antécédents médicaux repérés chez certains volontaires (traumatisme crânien pour le volontaire décédé, hypertension pour un autre hospitalisé) auraient dû conduire à les écarter de l'essai mené par le centre Biotrial.

Les experts plaident donc pour une meilleure sélection des volontaires avant d'effectuer un premier essai chez l’humain. En outre, pour des médicaments visant le cerveau, la sélection des volontaires sains devrait impérativement comprendre une évaluation neuropsychologique, selon eux.

"La gravité de l'accident de Rennes justifie que la réglementation et les bonnes pratiques internationales [concernant des premiers essais sur l'humain] évoluent", notent-ils.  Ils souhaitent aussi que les données sur les essais de phase 1 sur l'humain deviennent publiques. Ce qui n'est pas le cas actuellement pour des raisons de propriété industrielle.

Après la publication de ce rapport, le laboratoire Bial s'est félicité que les experts n'aient "identifié aucun non respect des recommandations et règles actuelles". L'avocat de la famille du patient décédé, maître Jean-Christophe Coubris, a jugé pour sa part que ces conclusions, "sans surprise", n'apportaient "rien de nouveau sur les circonstances" du décès.

Le 14 avril, le quotidien le Figaro portait à l’attention du public un document interne à l’ANSM, interrogeant la rigueur des procédures qui ont conduit l’agence à autoriser cet essai clinique.

Rappel des faits

Six volontaires sains participant à l'essai de phase 1 de la molécule BIA 10-2474 au centre Biotrial à Rennes avaient été hospitalisés en janvier, et l'un d'eux était décédé. Quatre des survivants présentaient des lésions cérébrales.