Des prothèses sensibles contre les douleurs fantômes

Depuis quelques années, des chercheurs du monde entier mettent la touche finale à des prothèses d'un nouveau genre : bardées de capteurs de pression, elles sont reliées aux terminaisons nerveuses du patient, qui peut ainsi retrouver des sensations tactiles. Mais comme en témoigne le dernier succès en date (une prothèse de pied, implantée début janvier en Autriche), il s’agit tout autant de faire ressurgir de nouvelles sensations que de faire disparaître les "douleurs fantômes", ces signaux nerveux résiduels qui semblent provenir du membre amputé.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Des prothèses sensibles contre les douleurs fantômes
L’exosquelette pour patient paraplégique testé dans le cadre du projet Walk Again (qui avait bénéficié d’une couverture médiatique importante lors du dernier mondial de football) était lui aussi partiellement recouvert de capteurs sensitifs.
L’exosquelette pour patient paraplégique testé dans le cadre du projet Walk Again (qui avait bénéficié d’une couverture médiatique importante lors du dernier mondial de football) était lui aussi partiellement recouvert de capteurs sensitifs.

En février 2014, une équipe de chercheurs suisses, allemands et italiens expérimentait une prothèse sensible sur un patient danois de 36 ans amputé du bras. Quatre électrodes ont été reliées aux nerfs périphériques de son épaule gauche. Après trois semaines de tests et d'ajustements, les électrodes étaient reliées à des capteurs réagissant à la tension des tendons artificiels.

Chez ce patient, la manipulation d'objets entraînait l'émission d'informations électriques qui, converties en impulsions nerveuses, étaient transmises plus haut aux nerfs du bras. Dans cette première expérience, les capteurs étaient peu nombreux, très espacés, et n'engendraient pas des stimuli d'une très grande richesse. Mais des travaux sont déjà avancés pour resserrer leur réseau et véhiculer un nombre toujours plus grand de sensations.

Sentir les cailloux sous la chaussure

Le 8 juin 2015, une équipe autrichienne de l'université de Linz a annoncé avoir franchi un nouveau cap technologique, après six mois d’expérimentation d'une prothèse sensible de jambe.

Le bénéficiaire est un enseignant de 54 ans nommé Wolfgang Rangger, amputé sous le genou en 2007 suite aux complications d'un accident vasculaire cérébral (AVC). Désormais, explique-il à nos confrères de l’AFP, il ressent "la différence quand je marche sur du gravier, le béton, l'herbe ou le sable. Je sens même les petits cailloux." Aujourd’hui, le patient peut courir, faire du vélo et de l'escalade - un sport qui nécessite une perception fine des surfaces sur lesquelles se posent les pieds.

Connecter les nerfs et les capteurs

Ici encore, la technique associe le déplacement d’un faisceau de nerfs et leur connexion à des capteurs ultra-sensibles.

Les médecins de Wolfgang Rangger ont repris, au centre du moignon, des terminaisons nerveuses conduisant initialement au pied amputé. Ils les ont ensuite déviées à la surface de la cuisse, à l'endroit où celle-ci est en contact avec le haut de la prothèse. La jambe artificielle comporte de son côté des capteurs sous la plante du pied, reliés à d'autres cellules, appelées stimulateurs, qui sont au contact du moignon. C'est l'information transférée entre les capteurs et les stimulateurs qui permet de simuler, et finalement reproduire, la sensation du membre perdu. 

A chaque pas, à chaque pression sur le sol, le pied artificiel de Wolfgang Rangger adresse désormais un signal précis à son cerveau.

"Sur un pied en bonne santé, ce sont des récepteurs sur la peau qui remplissent cette fonction", résume le professeur Egger, qui a coordonné l’opération. "Chez un amputé, ils manquent, bien sûr. Mais les transmetteurs d'information que sont les nerfs continuent d'exister. Il suffit de les stimuler". Ce médecin avait déjà innové en 2010 en présentant une prothèse de bras contrôlée par la pensée, grâce à la mise en place d'une connexion entre les nerfs moteurs et la prothèse.

La fin des douleurs fantômes

Outre un pas beaucoup mieux assuré, la prothèse de jambe testée sur Wolfgang Rangger offre un second avantage : elle a mis fin, "en quelques jours à peine", aux insoutenables douleurs fantômes qu'il avait dû supporter pendant des années après avoir perdu sa jambe.

"Avec ma prothèse conventionnelle", témoigne Wolfgang Rangger, "j'arrivais à peine à marcher. Je ne dormais pas plus de deux heures par nuit, et j'avais besoin de morphine pour tenir le coup dans la journée."

Cette sensation de souffrance au membre que l'on n'a plus, fréquemment observée, découle d'une hypersensibilité se développant progressivement dans le cerveau, qui est en quelque sorte à la recherche du membre amputé. La douleur fantôme est aggravée par le souvenir traumatique de l'accident ou de la maladie qui a conduit à l'amputation.

La prothèse "sensible" y remédie en adressant à nouveau des informations au cerveau, mettant fin à sa recherche perpétuellement infructueuse.

Encore quelques années à patienter...

De longs essais cliniques doivent encore être menés avant que de ces prothèses expérimentales puissent recevoir une autorisation de mise sur le marché. Ainsi, les premières prothèses sensibles de main ne devraient pas être commercialisées avant 2019.

Concernant le prototype de jambe développée en Autriche, son coût est aujourd’hui estimé "entre 10.000 et 30.000 euros". Ses concepteurs jugent son industrialisation "déjà possible", mais souhaitent prendre le temps d’analyser les données recueillies avec le premier patient.

Le sens du toucher est possible grâce à l'innervation extrêmement riche de la peau et de ses multiples récepteurs sensoriels. Ils transforment les différents stimuli (pression, température, température, douleur, vibration) en phénomène électrique qui part le long des fibres nerveuses vers le système nerveux central.

Les informations  véhiculées par les fibres nerveuses rejoignent la moelle épinière, traversent plusieurs structures cérébrales pour atteindre le cortex cérébral dans l'aire pariétale. Une fois le message reçu par le cerveau, il répond à son tour à ce stimulus sensitif en envoyant, via d'autres fibres nerveuses, des informations aux cellules cutanées.