Disparition des abeilles : les lobbies agricoles mis en cause

L'existence des abeilles est en danger. Près de 20% des colonies d'abeilles domestiques disparaissent chaque année en Europe et les lobbies agricoles et agrochimiques sont mis en cause. Les explications de Rudy Bancquart.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

L'extinction des abeilles n'est pas seulement une menace écologique, il s'agit aussi d'une menace pour l'espèce humaine. Selon l'INRA et le CNRS, un tiers de la production mondiale de nourriture est directement dépendante des pollinisateurs. Si vous avez des pommes, des oignons, des citrons, des brocolis... c'est grâce aux abeilles. La majorité des cultures fruitières, légumières, oléagineuses... dépendent des abeilles. Leur disparition impliquerait donc un changement complet de notre alimentation et ce n'est pas sans conséquence.

Une très sérieuse étude parue dans The Lancet a conclu que la disparition des abeilles pourrait causer plus d'un million de morts par an dans le monde. Car les modifications alimentaires impliqueraient une augmentation des carences en vitamines A et B9 vitales pour les femmes enceintes et les enfants, mais aussi une augmentation des maladies cardiovasculaires… La santé humaine est donc en jeu.

Les pesticides pointés du doigt

Plusieurs facteurs expliquent la disparition des abeilles : les frelons asiatiques les dévorent, des parasites comme le varroa, des champignons, le manque d'espace à butiner… Mais la principale raison reste les pesticides, et plus particulièrement ceux de la famille des néonicotinoïdes, fabriqués par des géants de l'agrochimie. Ils sont utilisés par les agriculteurs pour éradiquer certains parasites. Mais ils agissent aussi sur le système nerveux de l'abeille ce qui l'empêche de se repérer, elle finit alors par mourir. Cinq sont autorisés aujourd'hui. Ces pesticides ont aussi des effets sur l'homme. Par exemple, l'acetamipride est reconnu comme perturbateur endocrinien.

Depuis un an, l'éventuelle interdiction de ces pesticides de la famille des néonicotinoïdes fait débat au sein de la classe politique. Un débat surtout alimenté par les lobbies. En mars 2015, l'Assemblée examine la loi sur la biodiversité. Poussés par les associations de protection de l'environnement, Delphine Batho et Gérard Bapt déposent un amendement pour l'interdiction des néonicotinoïdes à compter de 2016. Cet amendement est introduit à la surprise générale contre l'avis du gouvernement. De nombreux députés étant absents ce jour-là, l'amendement est adopté. Mais en janvier, les sénateurs reviennent sur le texte et repoussent l'interdiction de ces pesticides.

Le poids des lobbies

Les lobbies agricoles avec en tête la FNSEA trustée par les grands céréaliers ne veulent pas de l'interdiction de ces pesticides. Pour cultiver le blé, l'orge ou l'avoine, pas besoin d'abeilles. Les céréales n'ont pas besoin de pollinisateurs mais les agriculteurs ont très peur des parasites. À cela s'ajoute un Sénat à droite, des élus plutôt ruraux et une agriculture en crise.

Comme le Sénat et l'Assemblée nationale ne sont pas d'accord, la loi sur la biodiversité passe en deuxième lecture. On recommence alors la procédure. En mars 2016, pas moins de 40 amendements sont déposés pour l'interdiction de ces pesticides à l'Assemblée nationale. Mais quelques jours avant, il y a un coup de théâtre. Le lobby agricole et agrochimique a réussi à mobiliser un ambassadeur de premier choix : Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture. Il va alors envoyer une lettre aux députés dans laquelle il explique pourquoi il ne faut pas voter cette interdiction. Une façon de choyer les agriculteurs qui manifestent depuis un an en France. Beaucoup de députés ont été scandalisés par la méthode d'autant plus que cette loi ne dépend pas de son ministère. Enfin, la pression dans ce dossier est telle que certains députés retrouvent des tas de fumier devant leur permanence.

Les associations de protection de l'environnement contre-attaquent

Les associations de protection de l'environnement ont aussi des lobbyistes au sein de leur structure pour faire pression sur les politiques. C'est le cas de WWF très impliqué dans ce dossier. Ils contactent les députés par mails, par SMS pour transmettre les dernières études scientifiques. Surtout, ils jouent la carte de l'opinion publique grâce à des pétitions et ça fonctionne. Ils obtiennent plusieurs centaines de milliers de signatures. Certaines ont aussi des ambassadeurs populaires comme Nicolas Hulot. Les médias ont également alerté sur les dangers des pesticides. C'est le cas de Cash Investigation où Elise Lucet a interrompu un dîner entre Syngenta, un fabricant de pesticides et des députés. Ces images ont marqué l'opinion publique et si ces députés veulent se faire réélire, ils devront en tenir compte.

Le jour du vote, les apiculteurs manifestent devant l'Assemblée. À l'intérieur, la situation est tendue. Selon Laurence Abeille, députée écolo, pour mettre la pression, le cabinet de Stéphane Le Foll assiste au vote et gare à celui qui s'égare. 58 personnes votent. Le résultat est de 28/30, l'amendement passe à une voix. Les néonicotinoïdes sont interdits. Mais il y a une rectification, la députée Maina Sage s'est trompée. Cela sera notifié dans le compte-rendu mais cela ne change pas l'issue du vote. Si elle ne s'était pas trompée, le résultat aurait été de 29/29 et le texte ne serait pas passé.

Le texte doit repasser au Sénat. À l'issue du vote, Bayer, producteur de néonicotinoïdes, promet une "impasse agronomique et économique" et des baisses de récoltes de "15 à 40% selon les cultures". Mais 135 milliards d'euros (PIB Portugal ou Irlande), c'est ce que coûte le service de pollinisation que rendent les abeilles. C'est aussi le prix de la biodiversité.