Détecteurs de fumée : la guerre des lobbies

Depuis le 8 mars 2015, toutes les habitations doivent être équipées d'un appareil détecteur de fumée. C'est une loi du 9 mars 2010 qui a rendu obligatoire l'installation des détecteurs autonomes avertisseurs de fumée, afin de réduire le nombre de victimes d'incendie. Mais avant que cette loi n'aboutisse, une vraie guerre des lobbies a eu lieu. Les explications avec Rudy Bancquart.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
''Détecteurs de fumée : la guerre des lobbies'', la chronique de Rudy Bancquart du 24 mars 2015.
''Détecteurs de fumée : la guerre des lobbies'', la chronique de Rudy Bancquart du 24 mars 2015.

Les études sont assez claires, les détecteurs de fumée peuvent sauver de nombreuses vies humaines. Mais une telle loi n'est pas toujours motivée par de bons sentiments.

Pourtant à l'origine de la loi, il y a un drame humain. En mai 2002, Josiane Bosycot perd sa fille dans un incendie. Elle trouve le soutien de Pierre Morange, député des Yvelines. Suivent en 2005 deux autres incendies qui secouent l'opinion : à Paris, dix-sept immigrés se retrouvent prisonniers des flammes dans un immeuble géré par Emmaüs. Quatre jours plus tard, même scénario dans le quartier du Marais : sept morts.

Cinq mois plus tard, deux députés, Pierre Morange accompagné de Damien Meslot, décident alors de faire une proposition pour rendre les détecteurs de fumée obligatoires. Une idée soufflée ou pas par les fabricants de détecteurs, cela reste encore aujourd'hui une énigme. Cependant, l'histoire paraît belle mais à cette époque, la loi est loin d'être adoptée car derrière tout ça se cache une histoire de gros sous.

Une proposition de loi datant de 2005

C'est en novembre 2005, il y a 10 ans, que la loi a été proposée et elle vient seulement d'être mise en application. De grands bailleurs de l'immobilier ont fait retarder le texte craignant de devoir payer le prix fort en équipement.

Damien Meslot déclarait à l'Assemblée nationale en 2008 : "Je regrette tout particulièrement l'action souterraine de certains lobbies. Je ne puis accepter que certains refusent d'équiper les logements en mettant en avant le prix des détecteurs ! Je ne puis accepter que la vie humaine ait un prix. Je ne puis accepter que sous prétexte d'économies de pacotille, certains prennent le risque de mettre en danger la vie d'autrui".

Le poids des lobbies de l'immobilier

Ce n'est pourtant pas la première fois qu'un député se heurte aux lobbies de l'immobilier. En 1989, Gilberte Marin-Moskovitz, alors députée socialiste, a rédigé une proposition de loi à la suite d'un incendie criminel à Belfort.

Mais cette proposition de loi déposée par la parlementaire, pourtant soutenue par le ministre Chevènement, n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale par le gouvernement. Les lobbies de l'immobilier avaient déjà réussi à faire barrage.

Le lobby des fabricants de détecteurs de fumée à la manoeuvre

La proposition de loi des députés Meslot et Morange a fait face un autre lobby, celui des fabricants de détecteurs de fumée et notamment un fabricant : Kidde®. En 2005, au moment des dramatiques incendies et de la proposition de loi, cette marque a été rachetée par UTC. UTC est un géant américain qui fait aussi dans l'aéronautique ou les ascenseurs. Pour eux, la France est un marché à conquérir. L'équipement est quasi nul ! Seulement 2% des Français ont un détecteur.

Pour gagner le combat face au lobby de l'immobilier, les fabricants de détecteurs de fumée ont organisé une opération de lobbying bien pensée. Pour cela, Kidde® n'a pas hésité à investir en 2005 un budget supérieur à son chiffre d'affaires pour un marché-test dans la région lyonnaise. La stratégie : un travail auprès de leaders d'opinion comme les associations de pompiers, de victimes d'incendie et bien sûr des députés auteurs de propositions pour tisser des relations fortes avec eux.

Leur action passe aussi par la création de livrets "Les incendies domestiques" en partenariat avec la préfecture du Rhône, mallette pour la prévention des incendies avec les pompiers, un travail dans la presse et particulièrement dans la presse municipale choisie pour son côté non commercial ce qui apporte plus de crédibilité. Cette stratégie leur a même rapporté un prix de RP !

Une loi adoptée en 2010

Les Français avaient jusqu'au 8 mars 2015 pour s'équiper : opération gagnée pour les fabricants. D'ailleurs la fédération des métiers de l'incendie s'est empressée de commander un rapport pour savoir combien tout cela pouvait rapporter. Avec 30,3 millions de logements, les fabricants tablent sur un marché de près de 900 millions d'euros. Les chiffres sont clairs. Mais ce qui est surprenant, c'est le manque de sanctions en cas de non respect de la loi. Dans ce cas, une campagne d'information n'aurait-elle pas suffi ?

Tout n'est pas une question d'argent. La face sombre de l'histoire est loin d'être négligeable. Mais les associations de victimes ont aussi joué leur rôle en défendant ce projet qui permet de sauver des vies et déjouer des drames humains. Mais je ne suis pas sûr que dans cette affaire elles ont été les plus influentes.