Médicaments : dépendance ou accoutumance ?

La frontière entre médicaments et drogues est floue et changeante. Mais comment différencier les concepts de dépendance et d'accoutumance ? Les explications du Pr Alain Astier, pharmacologue.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Médicaments : dépendance ou accoutumance ?

En anglais, on utilise le mot "drug" pour parler de médicament. Et dans de nombreux cas, la dose ou l'usage différencie le médicament et la drogue. Une même substance, comme par exemple la cocaïne, peut être un médicament anesthésiant local très puissant, utilisé en thérapeutique, et aussi une drogue addictive. De nombreuses drogues sont des médicaments détournés, comme la codéine. C'est le mésusage qui est en cause.

Dépendance ou accoutumance ?

La dépendance est une notion complexe qui fait intervenir un besoin non contrôlable d'utiliser une substance, soit addictive sans vertu thérapeutique comme le tabac, soit un médicament. Cette dépendance est d'ordre psychologique mais également physiologique. L'organisme "réclame" le médicament souvent en induisant des effets de sevrage, c'est-à-dire des effets désagréables si on ne prend plus le médicament. Typiquement, pour les médicaments, c'est le cas des anxiolytiques, comme les benzodiazépines ou les somnifères. Le patient pense qu'il ne peut dormir que s'il prend son somnifère, il n'imagine pas s'en passer le soir (composante psychologique). Cependant, le cycle normal du sommeil est également perturbé et donc, sans le médicament, l'endormissement est mauvais, ce qui aggrave la perception psychologique : "sans mon Stilnox®, je ne peux pas dormir !".

Mais tous les médicaments n'induisent pas l'accoutumance même en utilisation chronique. C'est surtout l'apanage des psychotropes et des analgésiques dits centraux. C'est également le cas pour les antidépresseurs. Le patient est littéralement "accro". Cela est typique avec les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine  - IRS comme la fluoxétine (Prozac®) ou la paroxétine (Déroxat®) - pour laquelle ce risque est très important. Tout cela pour une efficacité très faible voire nulle dans les dépressions légères et dans ce cas, le rapport bénéfice/risque est défavorable.

L'accoutumance est un phénomène essentiellement physiologique. Pour obtenir le même effet, il faut augmenter la dose. L'organisme apprend à résister à un médicament, par exemple en l'éliminant plus vite (on parle d'induction métabolique) ou en modifiant les cibles du médicament (les récepteurs) en les rendant moins sensibles.

L'accoutumance est un phénomène normal d'adaptation à un stress extérieur. On va s'accoutumer au bruit, à la chaleur, au froid. Pour une substance étrangère, l'organisme va chercher à s'en prémunir et à en diminuer les effets, il s'agit d'une défense. Pour les opiacés, les dérivés de l'opium comme la morphine, un antalgique majeur, en cancérologie, il faudra progressivement augmenter les doses pour continuer à soulager le patient, d'abord parce que l'évolution de la tumeur induit de nouvelles douleurs et aussi parce que l'organisme va résister de plus en plus par des mécanismes complexes. C'est la raison pour laquelle on va faire ce qu'on appelle une rotation des opioïdes. On va remplacer la morphine par un autre dérivé comme la méthadone ou la codéine ou des mélanges, puis on reviendra à la morphine etc.

Quand les patients développent une hypersensibilité

L'inverse de l'accoutumance existe aussi. On parle alors d'hypersensibilité soit spontanée, soit induite. La sensibilisation induite est exactement l'inverse de l'accoutumance. Un usage prolongé d'un médicament, par exemple un anxiolytique, va induire une sensibilité accrue (personnes âgées par exemple). Pour une même dose, on aura de plus en plus d'effet indésirables : somnolence, chutes etc.

Il s'agit d'un problème majeur du fait de la surconsommation importante de ces médicaments en France : prescriptions inutiles ou surtout trop prolongée (1 mois maximum), associations hasardeuses. Le patient, dépendant aux anxiolytiques, peut s'accoutumer au début, donc réclame au médecin de continuer à prescrire et d'augmenter la dose. Puis progressivement, par exemple en vieillissant (car on a de nombreux cas de prescription "à vie"), il devient hypersensible mais continuera à prendre un comprimé entier et cela va conduire à la catastrophe. Il convient donc d'être très prudent et de prendre en compte ces risques de dépendance et d'accoutumance.