Optique : le casse-tête du zéro reste à charge

Le remboursement des lunettes à 100% est l'une des grandes promesses de campagne d'Emmanuel Macron. Le gouvernement a annoncé ce mardi 23 janvier 2018 le lancement officiel de ce chantier (qui concerne aussi le dentaire et les audioprothèses). Un chantier, qui, pour l'optique, s'annonce très compliqué...

Maroussia Renard
Rédigé le , mis à jour le

L'objectif annoncé est la possibilité d'acheter une paire de lunettes sans rien avoir à débourser d'ici 2022. Un objectif difficile à atteindre. Le prix moyen d'une paire de lunettes en France est de 437 euros (verres + monture). Et le remboursement de la Sécurité sociale est dérisoire : à peine 4%, soit 17 euros sur 437. Ce sont donc les mutuelles qui prennent en charge la plus grande part de la dépense : 72%, soit 315 euros en moyenne.

Au final, le patient doit tout de même payer de sa poche un quart de la facture : 105 euros. Il s'agit d'une moyenne qui cache des disparités importantes. Par exemple, les retraités ont souvent besoin de verres plus complexes donc plus chers, or ils sont couverts par une mutuelle individuelle (généralement moins avantageuse que les mutuelles d'entreprise). Résultat : ces derniers peuvent se retrouver à payer plus de 400 euros de leur poche pour une paire de lunettes.

Quelles solutions pour atteindre le zéro reste à charge ?

A priori, il ne faut pas trop compter sur la Sécu pour augmenter son niveau de remboursement sur les lunettes. Et en même temps, il paraît compliqué d'en demander encore plus aux complémentaires santé qui financent déjà près des trois quarts des dépenses d'optique. Si elles remboursaient davantage, cela entraînerait inévitablement une augmentation des cotisations. Résultat, les assurés économiseraient d'un côté sur leurs lunettes mais perdraient de l'autre pour payer leur mutuelle.

La seule solution est donc de faire baisser les prix des lunettes. Tout le monde en a bien conscience. En optique, les prix ont toujours été libres et depuis quelques années, on assiste à une flambée des prix totalement injustifiée. Pour atteindre l'objectif du zéro reste à charge pour le patient, cela ressemble donc à un casse-tête.

La piste du "panier de soins"

Une des pistes envisagées pour concrétiser cette promesse de lunettes sans reste-à-charge est "le panier de soins". Cette idée a été proposée par le ministère de la Santé mais aussi par les mutuelles. Le principe est de définir des paires de lunettes "type", des paires différentes en fonction du défaut visuel (myopie, astigmatisme...) et du niveau de correction. Avec des montures de qualité et des options minimales : par exemple, un certain amincissement du verre.

On pourrait retrouver ces lunettes chez tous les opticiens, avec la garantie de n'avoir rien à débourser. L'idée n'est pas de revenir à ce qu'on appelait les lunettes Sécu, type "cul-de-bouteille" mais il n'est pas non plus question de rembourser des lunettes Chanel anti-reflet et anti-lumière bleue à tout le monde... Toute la difficulté est de trouver un accord avec les opticiens sur des lunettes qui ne soient ni low-cost, ni bourrées d'options de confort parfois superflues. En sachant que malgré ces offres de lunettes "reste à charge zéro", le patient restera libre d'acheter des montures de marque de luxe avec des verres dernier cri. Mais dans ce cas, il devra payer la facture. Un reste à charge choisi et non subi.

Autre piste : réformer le marché de l'optique

Le constat est sans appel : il y a beaucoup (trop) d'opticiens en France et cela pèse sur les prix. On compte 52 opticiens pour 100.000 habitants, contre 26 pour 100.000 en Allemagne et 10 pour 100.000 en Grande-Bretagne. À Paris, il y a autant d'opticiens que de boulangeries ! Conséquence, chaque magasin ne vend en moyenne que 2,8 paires de lunettes par jour, ce qui est insuffisant pour payer le loyer et toutes les charges. Les opticiens ont donc tendance à augmenter les prix et à s'accorder des marges importantes.

Les opticiens contestent cette explication. Ils mettent en avant la qualité du conseil, les ajustements des montures faites pour chaque client etc. Mais les mutuelles disent de leur côté que cette promesse du reste à charge zéro ne pourra pas se faire si on ne diminue pas le nombre d'opticiens notamment en limitant le nombre de places dans les écoles et en allongeant la durée des études.

Rien n'est encore tranché, le gouvernement vient tout juste de commencer les réunions de concertation, mais cette réforme ne se fera pas sans douleur. Le gouvernement est appelé à prendre sa part du fardeau en baissant la TVA sur les lunettes de 20 à 5,5%, ce qui signifie se priver d'une manne financière non-négligeable.

Pour le marché de l'optique, il risque d'y avoir des fermetures de magasins et du chômage à la clé. Sauf si le gouvernement profite de cette réforme pour déléguer davantage de tâches aux opticiens comme les bilans visuels. Aujourd'hui, dans certains départements, il faut parfois attendre quatre mois pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmo, ce qui est sans doute un facteur de renoncement aux soins encore plus important que le prix des lunettes.