Des tarifs chirurgicaux abusifs à l'hôpital public

10 % des chirurgiens des hôpitaux publics opèrent une "clientèle privée" à laquelle ils demandent jusqu'à dix fois le tarif remboursé par l'Assurance-maladie, selon une enquête publiée par le magazine 60 millions de consommateurs. Ces dépassements participent au développement inquiétant d'une médecine à deux vitesses.

Géraldine Zamansky
Rédigé le
Des tarifs chirurgicaux abusifs à l'hôpital public

Honoraires à l'hôpital : quels dépassements ?

Reportage vidéo du 23 février 2012
Reportage vidéo du 23 février 2012


S'agirait-il d'abus de faiblesse caractérisé ? Pour être sûr d'être opéré par des mains expertes, pour éviter d'attendre et de souffrir pendant des mois supplémentaires,… et faute d'oser dire "non, c'est trop", des milliers de patients paient chaque année des factures très élevées au sein d'hôpitaux publics où ils pensaient être à l'abri de la logique lucrative des cliniques.

Le magazine 60 millions de consommateurs publié par l'Institut National de la Consommation (INC) révèle les sommes prohibitives réclamées par certains chirurgiens. Le service d'orthopédie de l'Hôpital Cochin à Paris figure parmi les records recensés avec une note de 4 250 euros pour une pose de prothèse de hanche. Près de dix fois le tarif conventionné, c'est-à-dire validé par l'Assurance-maladie pour le remboursement des patients, qui est de 459,80 euros.

"Tact et mesure" ?

Ces dépassements d'honoraires sont de plus en plus dénoncés par les autorités sanitaires et par la Sécurité sociale elle-même. La Caisse nationale d'Assurance-maladie a ainsi annoncé (AFP), ce mois de janvier 2012, avoir lancé l'examen des pratiques de 28 médecins hospitaliers ayant une activité libérale à l'hôpital, principalement à Paris, Lyon et Marseille. Ils ont dû recevoir ces dernières semaines une demande de justification avant un éventuel signalement à l'Ordre des médecins. La Sécurité sociale doute en effet du respect du "tact et de la mesure" prévu par le code de déontologie. Une règle qui laisse place à toutes les interprétations : d'aucuns affirmeront ainsi que 4 250 euros la prothèse de hanche pour une personne dont la fortune est immense représente un tarif parfaitement "mesuré" !

Réglementairement, les médecins hospitaliers ne doivent pas consacrer plus de 20 % de leur temps et plus de 50 % de leurs actes et consultations, en nombre, à leur clientèle privée. En 2005, le Dr Hervé Boissin qui venait d'intégrer la Commission d'activité libérale de l'AP-HP, justement chargée de contrôler ce secteur, annonçait "quelques brebis galeuses (…). Une dizaine dépassent les 50 % de privé et cinq enquêtes" étaient en cours… Depuis, les Agences Régionales de Santé (ARS) ont vu le jour. Alerté sur ces situations inquiétantes, le directeur de l'ARS d'Ile-de-France, Claude Evin, a annoncé en octobre 2011 qu'il allait "s'emparer du problèmes des dépassements d'honoraires des médecins spécialistes très fréquents en région parisienne."

L'examen des pratiques libérales à l'hôpital est donc en cours et l'Agence semble déjà constater la nécessité d'améliorer la qualité des rapports réalisés par les commissions qui recensent normalement tout ce qui se passe au sein des établissements.

Un millions d'euros par an

Comment le service public peut-il ainsi accepter en son sein des pratiques aussi éloignées de sa mission originelle ? En partie par intérêt financier puisque l'établissement perçoit une partie des revenus "privés" perçus par les médecins en dédommagement des locaux et personnels mobilisés… Et à l'heure où les hôpitaux souffrent budgétairement, cet argument n'est pas forcément négligeable, surtout lorsque les montants atteignent plusieurs dizaines de milliers d'euros par praticien. Selon le Magazine 60 Millions de consommateurs, ils représenteraient par exemple au CHU de Nice 75 000 euros en moyenne pour 48 médecins, avec un record de 450 000 euros pour l'un d'entre eux. Chacun versant en moyenne 20 000 euros de redevance au CHU.

La notoriété de certains praticiens entre aussi en ligne de compte et rend difficile leur "réprimande" par la direction administrative… Ce système dérogatoire qui a été créé en 1958 pour sauver l'excellence hospitalière et permettre à tout le monde d'être bien soigné en évitant le départ des "meilleurs" vers les cliniques privées serait donc aujourd'hui détourné par un trop grand nombre de chirurgiens.

La Fédération hospitalières de France, qui représente l'ensemble des établissements publics, "condamne fermement les excès révélés" tout en affirmant "qu'ils ne concernent que quelques individus très minoritaires." Elle appelle néanmoins notamment les candidats à l'élection présidentielle à "encadrer strictement les dépassements d'honoraires, dans le public mais également dans le privé."

Davantage de volonté politique faciliterait sans aucun doute le respect des règles. Sans oublier, en parallèle, une réflexion de fonds sur les conditions de rémunération et de travail à l'hôpital public pour limiter les risques de dérives.

Consultations : quand les tarifs s'envolent, la chronique de M. Renard

La chronique de Maroussia Renard, sur le plateau du "Magazine de la santé", le 22 février 2012.
La chronique de Maroussia Renard, sur le plateau du "Magazine de la santé", le 22 février 2012.

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