Agent orange : le procès s'ouvre à Paris

Plus d'une dizaine d'entreprises agrochimiques, dont Bayer-Monsanto, comparaissent à partir du 25 janvier devant le tribunal d'Evry, dans le procès de “l’agent orange”. Un procès historique, qui pourrait amener à la reconnaissance du crime d'écocide.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Image d'illustration. L'agent orange a des conséquences sanitaires sur plusieurs générations / crédit photo : Shutterstock - De Jongh Photography
Image d'illustration. L'agent orange a des conséquences sanitaires sur plusieurs générations / crédit photo : Shutterstock - De Jongh Photography

C’est à l’initiative de Tran To Nga, née en 1942 dans ce qui était alors l’Indochine française, que ce procès inédit contre des entreprises de l’agrochimie peut avoir lieu aujourd’hui. Engagée pendant le conflit dans le camp du Nord, elle dit avoir été victime, comme des millions d’autres, des épandages d’herbicides toxiques pratiqués par l’armée américaine entre 1961 et 1971.

Les États-Unis ont en effet répandu des millions de litres d'un défoliant très toxique, contenant de "l'agent orange" sur les forêts vietnamiennes et laotiennes pour empêcher la progression de la guerilla communiste, en guerre contre le Sud.

13 fois plus toxique que le glyphosate

"L'agent orange" détruit la végétation, pollue les sols, intoxique végétaux et animaux... Les conséquences sanitaires sur la population (cancers, malformations) se font encore sentir aujourd'hui, sans parler de l’impact à long terme sur l’environnement. L’agent orange, une dioxine dotée d’une puissance toxique treize fois plus importante que les herbicides civils comme le glyphosate par exemple. 

Soutenue par de nombreuses associations, Tran To Nga porte plainte en 2014 contre 14 entreprises ayant fabriqué ou commercialisé ce composé chimique dont Monsanto (racheté en 2018 par l'allemand Bayer) et le fabricant américain Dow Chemical. A travers ce procès historique lundi au tribunal d'Evry (Essonne), la septuagénaire entend participer à la reconnaissance internationale du crime "d'écocide". 

Reconnaissance pour les victimes vietnamiennes

Quatre millions de personnes ont été exposées à "l'agent orange" au Vietnam, au Laos et au Cambodge, estiment les ONG qui défendent les victimes. "La reconnaissance de victimes civiles vietnamiennes créera un précédent juridique" si la responsabilité des multinationales est établie, explique Valérie Cabanes, juriste en droit international. Jusqu’à présent, seuls d'anciens combattants américains, australiens et coréens ayant combattu au Vietnam (lien en anglais ndlr) ont été indemnisés lors de procès entre 1987 et 2013.

Extermination familiale

Si "des recherches sont toujours en cours" pour déterminer son préjudice physique, Tran To Nga explique souffrir de pathologies "caractéristiques" d'une exposition à "l'agent orange", comme un diabète de type 2 avec une allergie à l'insuline "rarissime". Elle a par ailleurs contracté deux tuberculoses, a été atteinte d'un cancer et une de ses filles est décédée d'une malformation cardiaque.

Les conséquences sanitaires de cette dioxine cancérigène et tératogène, qui s'attaque au système immunitaire, se transmettent aux générations ultérieures, ce qui constitue une véritable "extermination familiale", juge Tran To Nga.

Chaque année, environ 6.000 enfants naissent au Vietnam avec “des malformations congénitales" renchérit Mme Cabanes. "Ce n'est pas pour moi que je me bats", déclare cette femme de 79, mais "pour mes enfants" et "ces millions de victimes" explique cette septuagénaire, qui dit mener le dernier combat de sa vie avec ce procès.

L’agent orange est-il l’affaire de la France ? 

Selon Bayer-Monsanto, c’est le gouvernement américain qui est responsable de l’utilisation de l’agent orange en temps de guerre. C’est d’ailleurs l’argument avancé par Me Jean-Daniel Bretzner, l’avocat de Bayer-Monsanto, qui a argué que ces sociétés "agissaient sur l'ordre d'un Etat et pour son compte".

Il a fait valoir que les entreprises mises en cause pouvaient bénéficier de l'immunité de juridiction et que le tribunal d’Evry n'était pas compétent pour juger de l'action d'un Etat étranger souverain dans le cadre "d'une politique de défense" en temps de guerre.

Mais en cas de victoire du procès, la jurisprudence reconnaîtrait la responsabilité de ces grandes firmes agrochimiques dans l’atteinte à la vie des personnes et de l’environnement. De quoi donner du souci aux défenseurs du glyphosate.