Acouphènes : ce qu'il se passe dans le cerveau

On pourrait penser que l'acouphène est un problème d'oreilles, mais en réalité l'acouphène trouve son origine dans le cerveau. Les explications avec le Pr Laurent Cohen, neurologue.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

Les acouphènes sont des bruits simples entendus dans sa tête ou dans ses oreilles, et qui n'ont aucune origine dans le monde extérieur. On distingue deux sortes très différentes d'acouphènes. Les acouphènes objectifs correspondent à des bruits réels qui se produisent à l'intérieur du corps, et que nous entendons. Par exemple, il arrive qu'une artère soit rétrécie et que le sang fasse du bruit en y passant, bruit qu'on peut entendre comme un souffle qui pulse au rythme du corps. Les acouphènes subjectifs correspondent, eux, à des sifflements ou des bourdonnements créés de toutes pièces par le système auditif.

Les acouphènes sont très fréquents. Après 60 ans, 10 à 20% des personnes ont des acouphènes à un moment ou à un autre. Le principal facteur de risque des acouphènes est une perte auditive, une surdité. Chez les jeunes, la principale cause de perte d'audition, et donc d'acouphènes, correspond aux traumatismes sonores, notamment la musique trop forte. Chez les moins jeunes, la principale cause est la presbyacousie, c'est-à-dire la baisse d'audition qui intervient assez souvent avec les années.

L'origine des acouphènes se trouve-t-elle dans les oreilles ?

Puisqu'ils sont favorisés par la surdité, on a longtemps pensé que l'origine des acouphènes se trouvait dans les oreilles. Mais les choses sont un peu plus compliquées. Les oreilles ne sont qu'une partie de l'histoire. Il faut connaître une ou deux petites choses sur le système auditif pour comprendre les acouphènes.

Les sons qui se propagent dans l'air sont des vibrations plus ou moins rapides. Quand elles parviennent à nos tympans, elles les font donc vibrer à leur tour. Les vibrations sont transmises à l'oreille interne, qui transforme les vibrations en signaux électriques, qui passent par les nerfs acoustiques, jusqu'au tronc cérébral et au cerveau. Retenons juste deux étapes : l'oreille interne, puis le cerveau.

Les acouphènes viennent-ils de l'oreille interne ou du cerveau ?

L'idée actuelle, c'est que les acouphènes viennent d'une combinaison d'une perte d'audition due à un problème d'oreille interne, parfois très discrète, plus une réaction "disproportionnée" du cerveau, puisque le cerveau crée ces sons imaginaires. On pourrait dire qu'il s'agit de sons fantômes, au même sens qu'un membre fantôme. Quand on est amputé d'un membre, on a souvent l'impression que ce membre est toujours présent, comme un fantôme invisible. Et souvent le membre fantôme est douloureux.

Les acouphènes et le membre fantôme se ressemblent. Dans les deux cas, le cerveau est privé d'informations, en provenance des oreilles dans le cas de la surdité, en provenance du membre dans le cas de l'amputation. Et ce cerveau privé d'informations crée, imagine des sensations, avec en plus une tonalité désagréable, douleurs fantômes ou insupportables acouphènes.

Que se passe-t-il dans le cerveau en cas d'acouphènes ?

Il y a plusieurs hypothèses, la réalité est certainement très compliquée, et on ne connaît pas tous les mécanismes. Selon une première théorie, on pourrait dire que le cerveau "monte le son" pour compenser la baisse d'audition. Par exemple, si vous regardez un film dans lequel les personnages murmurent tout doucement, vous allez pousser au maximum le son de votre télévision. Vous allez ainsi renforcer et entendre le bruit de fond, une sorte de souffle continu que normalement on n'entend pas. Les acouphènes correspondraient un peu au bruit de fond du cerveau quand le volume est monté au maximum pour compenser la surdité. C'est un peu métaphorique…

Concernant la deuxième explication, le cerveau est plein de cartes : des cartes du corps, où des petits bonhommes sont dessinés sur le cortex, des cartes où le champ visuel est comme étalé sur le cortex, mais aussi des cartes des sons. Le cortex auditif est la région qui analyse les sons. En général, quand on devient sourd, on perd surtout la perception des sons les plus aigus. Dans ce cas, les zones de la carte corticale, celles qui reçoivent les sons aigus, se trouvent plus ou moins au chômage. Ces zones commencent alors à fonctionner de façon sauvage. Par exemple, on a montré qu'elles sont colonisées par les sons voisins, les sons un peu plus graves, qui eux arrivent normalement au cerveau. Quoi qu'il en soit, le fonctionnement anormal d'une carte des sons partiellement privée des informations qu'elle reçoit d'habitude, donnerait lieu à des acouphènes.

Le rapport avec les membres fantômes

Si vous êtes soudainement amputé d'une main, les régions représentant cette main dans les cartes corticales du corps ne vont pas disparaître. Vous aurez donc toujours l'impression que la main existe, vous la sentirez. Là encore, cette carte privée des informations qu'elle reçoit normalement, va avoir un fonctionnement anormal et donner naissance aux douleurs du membre fantôme, comme les acouphènes qui sont comme des douleurs d'un son fantôme.

On pourrait résumer en disant que les acouphènes sont juste le résultat du fonctionnement aberrant du cortex auditif isolé du monde extérieur par la surdité. Mais les anomalies cérébrales vont en fait bien au-delà du cortex auditif. En imagerie fonctionnelle, on observe des anomalies qui s'étendent dans des régions impliquées dans la conscience, dans les émotions, dans la mémoire.

Une étude récente vient de le montrer d'une façon nouvelle. Ils ont travaillé avec un patient de 50 ans, qui souffrait de deux problèmes distincts : d'une part des acouphènes, et d'autre part de crises d'épilepsie sévères échappant au traitement médical. Comme c'est le cas dans certains cas d'épilepsie grave, on place des électrodes dans le crâne, à la surface du cerveau, pour trouver précisément d'où partent les crises. On peut alors proposer un traitement chirurgical qui vise à retirer la région qui est le point de départ des crises. Chez ce patient, des électrodes ont été mises en place pour le diagnostic de l'épilepsie, et les chercheurs en ont profité pour étudier ses acouphènes en enregistrant l'activité électrique du cerveau pendant des périodes de plus ou moins grande intensité des acouphènes.

Comme souvent dans le domaine de l'électrophysiologie du cortex, les choses sont très compliquées, mais ils ont trouvé des anomalies des ondes cérébrales allant bien au-delà du cortex auditif. Systèmes impliqués dans les émotions (qui rendent les acouphènes insupportables), les systèmes de la mémoire (qui rendent peut-être les acouphènes permanents), les systèmes de la perception consciente (qui obligent à prendre conscience et à ne pouvoir détourner l'attention des acouphènes)... Il est probable que tous ces réseaux jouent un rôle dans la création des acouphènes, et dans l'ampleur de la souffrance considérable qu'ils engendrent parfois.

Des cibles potentielles pour des traitements

Les acouphènes sont le résultat d'une sorte de cascade : d'abord un défaut d'audition, qui entraîne un fonctionnement anormal du cortex auditif, à l'origine des acouphènes, qui lui-même envahit des systèmes qui ont à voir avec les émotions, la mémoire, et qui font peut-être la gravité des acouphènes. Le bon côté, au moins en principe, tous ces systèmes font des cibles potentielles pour des traitements.

Il n'y a malheureusement pas de traitement miracle, mais différentes techniques ont une certaine efficacité : traitement de la surdité, stimulations sonores, médicaments divers, psychothérapie.