La Chine réalise la première modification génétique d'embryons humains

Des chercheurs ont publié ce 18 avril des résultats d'expériences portant sur la modification génétique d'embryons humains. Cette "première mondiale" soulève de nombreuses questions éthiques, alors que de nombreux pays prohibent explicitement ces manipulations.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

Durant les premiers mois de l’année 2015, la presse scientifique anglo-saxonne a multiplié les articles affirmant que plusieurs laboratoires, de par le monde, travaillaient à la manipulation génétique d'embryons humains.

Début mars 2015, un rédacteur du New Scientist notait "[qu’au moins deux] centres à Boston travaillent sur ce sujet, de même que des scientifiques en Chine, au Royaume-Uni, et une société de biotechnologie du nom d’OvaScience, à Cambridge, Massachussets". Dans le même temps, généticiens et spécialistes de l'éthique se sont fendus de tribunes alertant des inéluctables dérives d'une course à "l’amélioration" du génome humain(1).

Les faits sont là : ce 18 avril, une étude publiée dans la très sérieuse revue Protein & Cell confirme que des travaux de cette nature sont conduites en Chine.

Les expériences de l'équipe du généticien chinois Junjiu Huang ont été menées sur des embryons "non-viables" (qui n'auraient pu conduire au développement à terme d'un bébé(2)). Leur objet : la modification d’un gène responsable d'une bêta-thalassémie (anomalie de la structure des globules rouges entraînant une anémie).

Retouche génétique

La technique de "retouche génétique" employée par les chercheurs est la désormais incontournable "CRISPR/Cas9". Derrière ces chiffres et ces lettres se trouve une méthode - parmi d'autre - par laquelle une zone précise de l'ADN d'une cellule peut être ciblée, coupée et, éventuellement, remplacée par un autre fragment d'ADN.

Très efficace et peu coûteuse, la "CRISPR/Cas9" a supplanté depuis deux ans toutes les méthodes concurrentes. La revue Science l'avait distinguée comme l'une des avancées scientifiques les plus importantes de 2013. Il y a un an, des chercheurs du Massachussets Institute of Technology démontraient la possibilité d'utiliser cette technique pour guérir des souris adultes d'une anomalie génétique rare. Et si des expériences sur des cellules humaines adultes ont suivi, la manipulation d'embryons humains n'avait jamais été tentée.

C'est qu'en intervenant sur le génome d'un organisme aux premiers stades de son développement, on peut modifier sans mal l'ensemble de ses cellules - y compris celles qui donneront naissances à ses gamètes. Les traits génétiquement modifiés deviennent alors héréditaires.

L'ambition de soigner des maladies génétiques peut paraître louable. Mais, objectent certains généticiens, rien ne prouve que la manipulation CRISPR/Cas9 est pérenne sur plusieurs générations. D'autres notent qu'une fois la technique au point, la tentation sera grande "d'améliorer" notre descendance sur catalogue. Qui aura le portefeuille bien rempli pourra ajuster les aptitudes physiques futures de sa progéniture.

Des obstacles techniques demeurent

Si l'équipe de Huang a franchi un gué éthique, les résultats obtenus sont mitigés.

86 embryons, à leur tout premier stade de développement, ont été soumis au protocole CRISPR/Cas9, ajusté pour le remplacement du gène causant la bêta-thalassémie. Après une période de 48 heures (théoriquement suffisante pour que s’opère la substitution et que surviennent trois divisions successives), 71 embryons avaient survécus. Les tests réalisés sur 54 d'entre eux ont montré que seuls 4 présentaient la correction initiale dans toutes leurs cellules.

Mais les généticiens ont surtout constaté des mutations non désirées, induites par la manipulation, dans au moins 7 embryons. Un taux beaucoup plus élevé que ceux observés dans les études sur les embryons de souris ou sur les cellules adultes humaines.

Dans des échanges avec la presse scientifique, Junjiu Huang émet l'hypothèse que ces mauvaises performances soient liées à l'utilisation d'embryons non-viables. Pour le biologiste George Daley, spécialiste des cellules souches, interrogé par la revue Nature, l'étude chinoise prouve que la technologie qui permettrait à de tels essais d'aboutir n'est pas au point.

Huang et ses collaborateurs travaillent d'ores et déjà à l'amélioration de leur protocole.

Source : CRISPR/Cas9-mediated gene editing in human tripronuclear zygotes.  Junjiu Huang et coll. Protein & Cell, 18 avril 2015. doi:10.1007/s13238-015-0153-5

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(1) A lire notamment :

(2) Les embryons utilisés dans l’expérience étaient issus de fécondations in vitro infructueuses. Suite à une fécondation par deux spermatozoïdes, ces embryons possédaient en effet un nombre anormal de chromosomes (trois jeux de chromosomes au lieu de deux, phénomène de triploïdie survenant fréquemment lors de fécondations in vitro). Chez les mammifères, une division cellulaire normale de cellules triploïdes n’est possible que durant un temps limité, aucun développement normal n’étant envisageable.