L'excès de certains anti-douleurs pourrait augmenter le risque d'insuffisance cardiaque

Prescrits à fortes doses et sur de longues périodes, plusieurs anti-douleurs et anti-inflammatoires courants pourraient doubler le risque d'insuffisance cardiaque, selon une étude publiée dans la revue British Medical Journal (BMJ).

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

Des effets identifiés pour certains anti-inflammatoires

Des travaux publiés ce 29 septembre dans le BMJ suggèrent que les personnes qui consomment certains anti-inflammatoires au-delà des doses journalières de référence pourraient doubler, voire tripler ce risque. Parmi eux, le diclofenac (en France, Voltarène® et ses génériques) et le naproxène (Apranax®).

On savait déjà que la prise prolongée de nombreux anti-inflammatoires avait un effet sur l’augmentation du risque cardiovasculaire (voir encadré). Toutefois, peu de données détaillées avaient été collectées sur la relation entre la dose ingérée et le risque.

Une équipe de chercheurs européens, dirigée par le milanais Giovanni Corrao, ont recueilli les dossiers de 8 millions de patients auxquels avaient été prescrits des anti-inflammatoires (23 anti-inflammatoires non-stéroïdiens, ou AINS, et 4 anti-COX 2). Parmi ces patients, 90.000 avaient été hospitalisés pour une insuffisance cardiaque.

Dans un premier temps, les chercheurs ont tâché d’identifier si un nombre anormal d’hospitalisations avait eu lieu peu de temps après, voir pendant la période de prescription des médicaments.

Après avoir tenu compte des autres facteurs potentiels de risque, un risque accru d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque a été confirmé chez les consommateurs des anti-inflammatoires suivants – sans ici préciser la dose à partir de laquelle ce sur-risque commence à apparaître : diclofenac, ibuprofène, indométhacine, ketorolac, naproxène, nimésulide et piroxicam, ainsi que deux coxibs, l'étoricoxib (Arcoxia®) et le rofécoxib (le Vioxx®, retiré du marché mondial en 2004).

Dans la cohorte de patients étudiée, le risque était accru de 16% à 83% selon le médicament et l'état préalable des utilisateurs.

De nombreuses et vastes méta-analyses menées depuis le milieu des années 2000 [1] ont démontré que les anti-inflammatoires inhibiteurs de COX 2, mais aussi certains anti-inflammatoires non-stéroïdiens courants, augmentaient les risques cardiovasculaires, par rapport à la prise d’un placebo. Une synthèse de 600 études [2] montre notamment que des doses élevées d’inhibiteurs de COX-2 et d’AINS (diclofénac, ibuprofène, naproxène…) double le risque d'hospitalisation pour insuffisance cardiaque par rapport à un placebo. Le recours aux AINS est donc limité chez les patients prédisposés à une insuffisance cardiaque, et formellement contre-indiqués chez ceux souffrant d'insuffisance cardiaque diagnostiquée.

Des risques qui augmentent parfois à partir de certaines doses

En rentrant dans le détail des doses consommées, les chercheurs ont identifié des seuils de dangerosité associés à la prise de certains médicaments. À noter que cette observation ne démontre pas formellement un lien de cause à effet – le besoin de prendre des médicaments à plus forte dose pouvant éventuellement être lié à une susceptibilité plus grande à la maladie.

Selon les chercheurs, aucun sur-risque ne semble exister pour le diclofénac tant que la dose quotidienne est inférieure à deux fois la dose de référence. Mais lorsque ce seuil est dépassé, le sur-risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque est estimé entre +70% et +200%. Pour le naproxène, le sur-risque n’est également formellement identifié qu’en cas du doublement de la dose de référence, avec un risque accru estimé entre +20% et +70%.

Pour les coxibs étudiés, un sur-risque est identifié dès la prise de la dose journalière de référence, ce risque progressant lentement avec l’augmente des doses.

Pour l’ibuprofène, les données recueillies ne permettent pas de confirmer l’existence d’un seuil à partir duquel l’éventuel sur-risque augmente. À noter qu’en avril 2015, l’Agence européenne du médicament avait signalé qu’un sur-risque (faible) n’était identifié qu’à partir de 2.400 mg d'ibuprofène par jour, soit 12 comprimés par jour (de 200 mg).

Ne pas tirer de conclusions trop hâtives

"Dans la mesure où toute augmentation d'un risque potentiel peut avoir un impact considérable sur la santé publique, les estimations de risque fournis par cette étude pourront servir dans la pratique clinique et dans le travail réglementaire" soulignent les auteurs de l'étude. Ils reconnaissent qu'il s'agit d'une étude "observationnelle" et insistent sur le fait qu’aucun lien de cause à effet n'a pu être démontré à ce stade.

"L'étude vient rappeler aux médecins qu'ils doivent faire attention lorsqu'ils prescrivent des AINS et des anti-COX 2 et aux patients qu'ils doivent prendre la plus petite dose efficace pendant la période la plus courte", relève le Pr Peter Weissberg, un expert indépendant de la British Heart Foundation.

Un autre expert indépendant le Pr David Webb, président de la société pharmacologique britannique a résumé les résultats de l'étude : "Elle montre que des anti-inflammatoires comme l'indométacine présente plus de risque que le diclofénac […] et qu'il y a en revanche moins de risque pour d'autres inflammatoires comme le célécoxib (Célébrex®)." 

Le Dr Tim Chico, de l'Université de Sheffield s'est pour sa part efforcé de rassurer les patients : "les risques d'un traitement à base d'ibuprofène sur une courte période chez des personnes sans risque cardiaque évident restent faibles", relève-t-il.

 

Source : Non-steroidal anti-inflammatory drugs and risk of heart failure in four European countries: nested case-control study. A. Arfè et al. BMJ, 28 sept. 2016. doi:10.1136/bmj.i4857

Notes et références

[1] Voir notamment :

  • Do selective cyclo-oxygenase-2 inhibitors and traditional non-steroidal anti-inflammatory drugs increase the risk of atherothrombosis? Meta-analysis of randomised trials. PM. Kearney et al. BMJ, 2006 doi:10.1136/bmj.332.7553.1302.

  • Role of dose potency in the prediction of risk of myocardial infarction associated with nonsteroidal anti-inflammatory drugs in the general population. L.A. García Rodríguez et al.  J Am Coll Cardiol, 2008. doi:10.1016/j.jacc.2008.08.041.
  • Cardiovascular risk with non-steroidal anti-inflammatory drugs: systematic review of population-based controlled observational studies. P. McGettigan et al. PLoS Med, 2011;8:e1001098. doi:10.1371/journal.pmed.1001098.
  • Cardiovascular safety of non-steroidal anti-inflammatory drugs: network meta-analysis. S. Trelle et al. BMJ, 2011 doi:10.1136/bmj.c7086.

  • Comparative evaluation of cardiovascular outcomes in patients with osteoarthritis and rheumatoid arthritis on recommended doses of nonsteroidal anti-inflammatory drugs. J. Fabule et al. Ther Adv Musculoskelet Dis, 2014. doi:10.1177/1759720X14541668.

[2] Coxib and traditional NSAID Trialists’ (CNT) Collaboration. Vascular and upper gastrointestinal effects of non-steroidal anti-inflammatory drugs: meta-analyses of individual participant data from randomised trials. N.Bhala et al. Lancet, 2013. doi:10.1016/S0140-6736(13)60900-9.