La majorité des "nouveaux anticancéreux" ne fait pas mieux que les anciens traitements

Une étude publiée ce jeudi 5 octobre dans le British Medical Journal dénonce un important gaspillage des ressources publiques. 

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le
Entretien avec le Pr Jean-Jacques Zambrowski, médecin et économiste de la santé
Entretien avec le Pr Jean-Jacques Zambrowski, médecin et économiste de la santé

Innovants, oui. Mais apportent-ils un « plus » en terme de survie ou de qualité de vie ? Cette notion d’amélioration du service médical rendu (SMR) est centrale dans les autorisations de mise sur le marché. Mais selon des travaux publiés dans le BMJ, plus de la moitié des nouveaux médicaments contre le cancer mis sur le marché dans l'Union européenne entre 2009 et 2013, ne rendent pas un service médical supérieur à leurs prédécesseurs.

Des chercheurs du King's College de Londres et de la London School of Economics, ont analysé les essais cliniques et études relatives à 48 nouvelles molécules anticancéreuses ayant reçu une AMM de l'Agence européenne du médicament entre 2009 et 2013, dans 68 indications différentes. Sur ces 68 nouveaux traitements, 39 (soit près de 3 sur 5) ont reçu le feu vert du régulateur européen sans avoir démontré un surcroît d’efficacité en terme de survie ou de qualité de vie.

Pour beaucoup de ces traitements, des gains de durée de vie existent, jugés "marginaux" par les auteurs. Beaucoup de ces médicaments auraient été autorisés sur la base de résultats trop préliminaires pour conclure à un bénéfice supérieur aux traitements déjà existants. Les auteurs de l’étude y voient là un "important gaspillage de ressources publiques", qui "pose de sérieuses questions sur les normes actuelles en matière de réglementation des médicaments"

Interrogée par l'AFP, l'Agence européenne du médicament a souligné avoir "largement discuté des preuves étayant les médicaments anticancéreux" et être ouverte à tout "nouveau débat" sur le sujet. Cette étude est par ailleurs analysée et critiquée par le Pr Jean-Jacques Zambrowski, médecin et économiste de la santé, invité du Magazine de la Santé le 5 octobre 2017.

Pour entrer dans les détails

Tout nouveau médicament est évalué dans le cadre d’essais cliniques. Les résultats de ces études sont décisifs pour une autorisation de mise sur le marché (AMM). Les traitements anticancéreux n’échappent pas à la règle. Parfois, une AMM provisoire est décernée sur la base de résultats préliminaires, dès lors que ceux-ci suggèrent l’existence d’un bénéfice pour les malades. La stabilisation du développement d’une tumeur, l’allongement du délai de survie sans récidive, sont des variables prises en compte dans ces situations. La survie des patients et les bénéfices en terme de qualité de vie sont évalués dans un second temps.

Parfois, l’amélioration du service médical rendu est indéniable : comparé avec les traitements antérieurs, les patients vivent plus longtemps, la durée moyenne sans récidive s’allonge, ou les effets indésirables sont plus rares (ou plus supportables). Mais ce n’est pas toujours le cas.

Une étude publiée en 2015 portant sur les anticancéreux autorisés entre 2008 et 2012 aux États-Unis a montré que sur 54 AMM délivrées, seules 18 avaient apporté la preuve d’un bénéfice sur les critères survie et qualité de vie. Sur les 36 traitements autorisés sans prendre ces paramètres en ligne de compte, seules 5 ont ultérieurement fait preuve de leur supériorité.

La nouvelle étude, portant sur les AMM délivrées par l'Agence européenne des médicaments de 2009 à 2013, montre donc des résultats analogues : sur 68 délivrées, seules 29 renvoyaient à ce type de preuves. Sur les 39 autres traitements autorisés, seuls dix "avaient une efficacité comparable en terme de survie" à un traitement déjà autorisé (28 essais ne portaient pas sur la comparaison d’efficacité avec un traitement antérieur). L’amélioration du service médical rendu n’a été ultérieurement confirmée que pour 6 de ces 39 médicaments [1].

Au total, 23 médicaments sur 68 ont amélioré la survie des patients par rapport aux traitements existants. Mais pour 11 d’entre eux, ce bénéfice n’était pas "cliniquement significatif", soit qu’il ne se compte qu’en semaines, soit qu’il s’accompagnent d’effets indésirables rendant le gain initial peu pertinent.

Espoirs déçus

Comme le souligne un éditorial accompagnant la publication de ces travaux dans le British Medical Journal, "bien que nous approuvions les médicaments anticancéreux à un rythme rapide, peu arrivent sur le marché accompagnés de preuves solides d’une amélioration des critères pertinents pour le patients", précise l’auteur. En outre, les bénéfices peuvent n’avoir été constatés dans une population particulière – des patients plus jeunes et plus vaillants que la population moyenne qui bénéficiera du traitement. Rien d’étonnant à ce qu’une fois sur le marché, les espoirs initiaux soient déçus.

Au final, selon l’étude, 32 des 68 nouveaux anticancéreux étudiés n’ont à cette heure pas fait leur preuve d’une supériorité par rapport aux traitements antérieurs [2], alors même que ces nouvelles stratégies thérapeutiques sont très coûteuses.

"En raison des coûts et de la toxicité des médicaments anticancéreux, nous avons l'obligation de ne proposer ces traitements aux patients que lorsque l’on peut raisonnablement s’attendre à une amélioration de la survie ou de la qualité de vie", commente le BMJ, estimant que l’étude publiée dans ces colonnes montre que ce principe élémentaire n’est pas toujours respecté.

la rédaction d'Allodocteurs.fr, avec AFP


[1] Au final, selon l’étude du BMJ, les traitements ayant démontré un intérêt par rapport à des traitements antérieurs sont les suivants : Rituximab (en traitement de première intention de la leucémie lymphocytaire chronique lorsque combiné avec une chimiothérapie), Lapatinib (pour certains cancers  du sein préalablement traités par chimiothérapie), Pazopanib (en traitement de première intention contre des cancers rénaux), Mifamurtide, Gentinib, Pemetrexed, Vinflunine, Trastuzumab, Ofatumumab, Erlotinib, Nilotinib, Tegafur/gimeracil/oteracil, Cabazitaxel, Eribulin, Trasuzumab, Ipilimumab, Erlotinib, Abiraterone acetate, Vandetanib, Vemurafenib, Decitabine, Crizotinib, Aflibercept, Pertuzumab, Enzalutamide, Pomalidomide, Regorafenib, Afatinib, Trasuzumab emtansine, et Nab-pacitaxel.

[2] Selon l’étude du BMJ, il s’agit des traitements suivants : Rituximab (en traitement complémentaire de la leucémie lymphocytaire chronique réfractaire ou récidivante, et en thérapie de maintien pour les lymphomes folliculaires), Lapatinib (pour certains cancers du sein non préalablement traités par chimiothérapie), Pazopanib (en traitement de deuxième intention contre des cancers rénaux), Degarexil, Imatinib, Bevacizumab, Everolimus, Temsiolimus, Trabectedin, Docetaxel, Sunitinib, Dasatinib, Panitumiumrab, Cetuximab, Pixantrone, Pazopanib, Axitinib, Brevaxizumab, Brentuximab, Bosutinib, Ponatinib, Vismodegib, Bortezomib, et Dabrafenib.