Le prix igNobel de Médecine 2017 décerné à des Français !

CHRONIQUE – La curiosité d’un chercheur peut s’exercer sur des sujets graves et importants... mais pas seulement. La 27ème édition des ig-Nobel, prix humoristique décerné aux recherches "qui font d’abord rire, puis réfléchir", avait lieu ce 14 septembre à l'université de Harvard. Rendez-vous lundi dans le Magazine de la santé pour décortiquer le palmarès !

Florian Gouthière
Rédigé le
Image : un penseur de Rodin tombé de son piédestal, la mascotte des IgNobel - Vidéo : "Prix Nobel de l'absurde : une fausse-bonne idée ?", chronique de Florian Gouthière du 18 septembre 2017
Image : un penseur de Rodin tombé de son piédestal, la mascotte des IgNobel - Vidéo : "Prix Nobel de l'absurde : une fausse-bonne idée ?", chronique de Florian Gouthière du 18 septembre 2017

Les igNo-quoi ?

En 1955, en Israel, le physicien Harry Lipkin et l’éditeur Alexander Kohn lancent le premier numéro du Journal of Irreproducible Results (le "journal des résultats irreproductibles"), revue humoristique "pour scientifiques". Entre deux dessins satiriques et articles dénonçant le manque de rigueur de certains chercheurs, les contributeurs du journal commentaient les publications savantes les plus surprenantes portées à leur connaissance.

Ce n’est qu’en 1991 que le rédacteur en chef Marc Abrahams décide de distinguer par un prix spécial la crème des recherches scientifiques "qui ne peuvent pas, ou ne devraient pas, être reproduites". Ce sont les "IgNobel" (calembour mêlant Nobel et ignoble). Le succès médiatique de l’initiative est tel qu’en 1995, Marc Abrahams crée la revue Annals of Improbable Research, exclusivement dédiée aux recherches surprenantes ou absurdes.

Depuis lors, les IgNobel ne récompensent plus seulement les recherches douteuses, mais aussi et surtout celles dont les énoncés font "d’abord rire, puis réfléchir". Comment ne pas s’étonner qu’une équipe de scientifiques ait publié un compte-rendu sur l’efficacité des cataplasmes en poitrine de porc pour arrêter les saignements de nez [1] ? Ou sur l’aptitude des chimpanzés à reconnaître des congénères en regardant des photographies de leurs postérieurs[2] ?

Tous les IgNobel ne sont pas décernés à des travaux d’une rigueur scientifique à toute épreuve. En 2014, des chercheurs ayant prétendu démontrer que les chiens préféraient "aligner leur corps selon un axe Nord-Sud" pour faire leurs besoins ne résiste pas longtemps à une analyse statistique critique… Mais le principal critère d’élection à un IgNobel reste la dimension insolite des postulats de recherche. Comment diable ces biologistes en sont-ils venus à se poser une telle question ?

Certains IgNobel semblent parfois attribués sur la foi d'un simple communiqué de presse amusant, et non après l'attentive lecture de l'étude scientifique. En 2015, un prix de chimie avait été attribué à un procédé permettant "de faire rapidement dé-cuire un œuf dur"... Cette promesse n'était pourtant pas celle des chercheurs, mais celle d'un service de presse un peu trop imaginatif. À noter qu'une vraie méthode pour faire "dé-cuire les œufs" avait été décrite plusieurs années auparavant par le chimiste français Hervé This (célèbre auprès des amateurs de "cuisine moléculaire"), sans susciter le moindre intérêt de la part du comité IgNobel.

Des prix satiriques émaillent également les cérémonies. En 2014, le gouvernement italien a ainsi remporté l'ig-Nobel d'économie pour "avoir fièrement rempli le mandat de l'Union européenne, faisant en sorte que chaque pays augmente la taille officielle de son économie nationale en incluant les revenus de la prostitution, des ventes illégales de drogue, de la contrebande et autres transactions financières illégales". Étonnamment, aucun représentant du gouvernement italien n’est venu retirer son prix.

Sans plus attendre, nous vous dévoilons le palmarès 2017 !


[1] Prix IgNobel de médecine 2014.
[2] Prix IgNobel d’anatomie 2012.

Et les grands gagnants de l’édition 2017 sont…

Cette année encore, de nombreuses découvertes médicales ont été primées.

Le prix d’Anatomie 2017 a été décerné au britannique James Heathcote pour une recherche médicale datée de 1995, intitulée : "Pourquoi les hommes âgés ont-ils de grandes oreilles ?" Le chercheur est le premier a avoir scientifiquement établi une corrélation entre la taille des oreilles et l’âge des mâles de l’espèce humaine. Depuis, d’autres chercheurs  ont corroboré l’observation. Est-ce que les oreilles grandissent avec l’âge ? Selon des travaux récents [1], c’est vraisemblable, et ce pourrait être lié aux propriétés physiques de leur cartilage. Est-ce que d’autres parties du corps grandissent mais que celles-ci sont le plus souvent exposées à la vue ? Est-ce que des facteurs de diminution de risques (cardiovasculaires, etc.) sont associés avec la croissance des oreilles ? Et bien, 22 ans après la communication scientifique de James Heathcote, on n’en sait pas grand chose. Par contre, il semblerait que cette déformation des oreilles modifie les performances auditives et la qualité de perception de certains sons [2].

Le prix igNobel de la Paix a été decerné à une équipe internationale, pour une étude parue fin 2006 suggérant que jouer régulièrement du didgeridoo pourrait participer à diminuer les ronflements liés à l’apnée obstructive du sommeil – et, tant qu’à faire, traiter ladite apnée du sommeil. La paix, c’est ici la paix de la personne qui partage le lit du patient. L’étude a effectivement incorporé une mesure de la qualité du sommeil des conjoints, qui témoignaient d’un mieux. En dix ans, diverses recherches ont corroboré l’idée que ce type d’exercice présente un intérêt réel pour les patients.

Le prix de Médecine récompense cette année une recherche "béret-baguette", à laquelle le Magazine de la santé avait consacré un reportage en novembre dernier ! Cette étude apporte un début de réponse à question que se pose tout vrai amateur de maroilles : pourquoi diable, au pays du fromage, certaines personnes ont les narines qui se ferment devant un bon saint-nectaire, plutôt que de s’ouvrir grand pour en humer le fumet ? Des chercheurs basés à Lyon et Paris, rattachés au CNRS, ont en effet reçu un igNobel "pour l’utilisation de technologies avancées d’imagerie cérébrale pour mesurer à quel point les personnes dégoûtées par le fromage sont dégoûtées par le fromage". Dans ces travaux très récents, le fromage a en fait servi de modèle pour chercher à comprendre les raisons de l’aversion sélective pour des substances parfaitement comestibles. Les participants furent exposés à diverses photographies et odeurs, et des zones très précises du cerveau sont apparues suractivées chez ceux que le fromage dégoûte.

Un prix d’Obstétrique a été décerné à des chercheurs espagnols qui ont mené des recherches pour savoir si les fœtus réagissent plus lorsque de la musique est diffusée au travers du ventre de la mère, ou en mettant directement un système audiophonique dans son vagin. Selon eux, la seconde réponse est la bonne. La question : « à quoi ça sert ? » est un tout autre problème. Au niveau du développement de l’enfant, rappelons que l’intérêt d’une telle stimulation n’a jamais été démontré. Par contre, ces recherches « qui font scientifique » servent d’argument commercial à un dispositif audio waterproof au design adapté… Les auteurs des études (dont l’une est titulaire du brevet) sont venu chercher leur prix à Harvard, ravis de tout ce qui peut faire de la pub à cet appareil qui, jusqu’à preuve du contraire, est totalement dispensable

Un prix igNobel de Cognition a été attribué à des chercheurs italiens, pour avoir montré que "bon nombre de jumeaux sont incapables de se distinguer de leur frère ou de leur sœur sur une photographie".  

Un prix de Biologie a récompensé la découverte d'une spécificité inattendue d'une espèce d’insecte cavernicole du Brésil, dont les mâles ont un organe sexuel interne, évocateur d’un vagin, et les femelles un organe externe, fonctionnant comme un pénis.

L’igNobel de Nutrition est allé à deux chercheurs qui ont découvert qu’une chauve-souris brésilienne connue pour se nourrir usuellement du sang des oiseaux, avait diversifié son alimentation avec le développement de l’implantation humaine, puisqu’elle se nourrit désormais également de sang humain.

Mention spéciale pour l’igNobel de Physique, décerné au français Marc-Antoine Fardin, "pour l'utilisation de la dynamique des fluides pour répondre à la question : un chat peut-il être considéré à la fois comme un solide et liquide ?". C’est une étude très drôle, volontairement absurde, mais qui interroge avec beaucoup de rigueur cette question. Et, images à l’appui (voir ci-dessous), on voit que la réponse n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît !

Autre mention spéciale pour le prix igNobel d’Économie décerné à deux chercheurs qui se sont demandés si être mis en présence de crocodiles influe sur le comportement des joueurs de machines à sous dans les casinos. Leur travail suggère que l’excitation ressentie rend plus dépensier.

Les gagnants, qui pouvaient comme chaque année venir retirer leur prix (le transport et l'hébergement étant à leur charge !), avaient deux minutes pour leur discours de remerciement. Comme chaque année, un enfant intransigeant était chargé de faire respecter cette limite en exprimant ouvertement son ennui. Un prix de dix mille milliards de dollars (des dollars du Zimbabwe, pas des États-Unis) était remis aux lauréats (valeur estimée : environ 3 euros).

L'intégralité de la cérémonie 2017 peut être retrouvée ci-dessous :


[1] Voir :

  • I. Ito, et al « A Morphological Study of Age Changes in Adult Human Auricular Cartilage With Special Emphasis on Elastic Fibers ». The Laryngoscope, 111: 881–886. (2001)
  • A. Mowlavi et al. « EARLOBE AGING PROCESS: ELONGATION OF THE FREE CAUDAL SEGMENT » Plastic & Reconstructive Surgery: Volume 113 - Issue 7 - pp 2214-2215 (2004)

[2] Rik J. Otte,  et al. « Age-related Hearing Loss and Ear Morphology Affect Vertical but not Horizontal Sound-Localization Performance », Journal of the Association for Research in Otolaryngology avril 2013, Volume 14, Issue 2, pp 261–273 (2013)

Palmarès des années précédentes :