Manger son placenta : aucun bénéfice prouvé

"Si tant de mammifères le font - et même des herbivores - pourquoi pas nous ?" Sur la base de cet argument "naturaliste", de nombreuses femmes se sont mises à la placentophagie : la consommation du placenta après leur accouchement.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Manger son placenta : aucun bénéfice prouvé

Le placenta est un organe éphémère qui connecte l'embryon à l'utérus, et l'alimente en eau, oxygène et nutriments.

Et effectivement, excepté chez les mammifères aquatiques[1], cet organe est méthodiquement consommé par les jeunes mères sitôt expulsé. Mais parmi les primates, l'homme seul semble avoir abandonné cette pratique… et ce, depuis longtemps. Comme l’observait en 1980 le psychologue Mark Kristal, les ethnologues qui ont sillonné le globe et témoigné des rites les plus complexes liés à la naissance n’ont que très rarement décrit de cas humain de placentophagie parentale[2]. Sa consommation est même explicitement interdite dans de nombreuses cultures. Les humains du XXIème siècle qui se tournent vers la placentophagie ne peuvent donc que difficilement se revendiquer de "la tradition".

Trois questions autour d'un plat de placenta

Quel bénéfice tant de mammifères tirent-ils de cette pratique ? Pourquoi notre espèce lui a-t-elle radicalement tourné le dos ? Enfin, aurions-nous le moindre intérêt à "remettre le couvert" ?

Les motivations de la placentophagie animale sont, à vrai dire, très mal connues.

Une hypothèse avancée fut qu’il s’agissait là d’un moyen de nettoyer le site où le nouveau-né allait grandir, autant pour des régions d’hygiène que pour éviter l’attraction des prédateurs. Mais les espèces vivant dans les arbres, celles qui migrent aussitôt, celles qui sont au sommet de la chaîne alimentaire, pratiquent la placentophagie. Il pourrait toutefois s’agir chez elles d’une survivance d’un comportement pertinent chez leurs ancêtres.

Une autre théorie serait que la consommation de cet organe serait motivée par une très grande faim après la mise-bas. Là encore, des expériences sur le singe rhésus et le rat semblent invalider cette hypothèse, car les animaux n’apparaissent avoir aucune appétence pour d’autres pièces de viande (foie, morceaux de bœuf, de porc…) après la naissance de leur petit.

Troisième hypothèse : le placenta contiendrait divers nutriments et hormones nécessaires à l’attachement de la mère à l’enfant. Les observations comportementales suite à des mises bas vétérinaires par césarienne invalident cette hypothèse. En revanche, des travaux réalisés au milieu des années 1980 suggèrent toutefois l’existence de substances chimiques dans le placenta ayant des effets analgésiques indirects (diminution de la sensation de douleur). Dans une synthèse d’étude (méta-analyse) publiée le 4 juin 2015 dans la revue Archives of Women's Mental Health, des chercheurs nord-américains constatent qu’aucune étude n’a encore validé ces observations sur l’être humain. Des effets sur la lactation et une reprise normale de l’ovulation auraient également été observés chez divers mammifères ; chez l’humain, les quelques études ayant cherché à mettre en évidence ces effets ne semblent pas concluantes.

Cette apparente perte d’efficacité hormonale pourrait avoir contribué à la disparition du réflexe de placentophagie chez l’homme, mais trop d’inconnues subsistent encore pour l’affirmer avec certitude.

Quoiqu’il en soit, les affirmations des défenseurs modernes de la consommation de placenta, selon qui celle-ci "réduit la dépression post-partum", "favorise l'élasticité de la peau", "améliore le lien maternel" ou "régénère le fer dans l'organisme" ne sont appuyées par aucune étude rigoureuse sur l’être humain.

"Les études sur les souris ne sont pas traduisibles en avantages humains", insistent dans un communiqué les auteurs de la méta-analyse citée plus haut.

Votre placenta n'est pas "bio"

Ceux-ci soulignent qu’il n’existe pas non plus d’études… portant sur les risques liés à l’ingestion du placenta, qu’il soit cru, cuit ou réduit en poudre. Or, des chercheurs ont récemment avancé que le placenta filtrerait (et stockerait) une partie des polluants et toxines environnementales, afin de préserver le fœtus. La placentophagie humaine aurait pu, selon eux, péricliter du fait de la récente exposition humaine "au feu et aux cendres" – et à des sous-produits de combustion dangereux à certaines concentrations.

L’hypothèse reste non démontrée, mais appuie toutefois la réflexion sur la placentophagie. Organe lié au fœtus, le placenta n’a rien d’un aliment "bio" et sain dans nos sociétés exposés à de multiples substances toxiques…

Selon les auteurs de la dernière synthèse, le risque de la placentophagie pour les femmes comme pour leurs enfants, si elles allaitent, est tout simplement inconnu.

"Notre sentiment est que les femmes qui choisissent la placentophagie, qui font pourtant très attention à ce qu’elles ingèrent durant leur grossesse, sont prêtes à manger quelque chose sans [donnée sérieuse] sur ses avantages et, surtout, sur ses ses risques potentiels pour eux-mêmes et leurs nourrissons ", insiste Cynthia Coyle, co-auteure de l’analyse. "[Aux Etats-Unis], il n'existe pas de réglementation sur la façon dont le placenta est stocké et préparé", poursuit-elle. "Les femmes ne savent pas vraiment ce qu'elles ingèrent."

La question de l’interaction éventuelle du placenta avec des médicaments que pourraient ingérer les jeunes mères est également "non élucidée".


[1] En 1961, le chercheur Daniel S. Lehrman a ajouté les camélidés (chameaux, dromadaires, lamas, alpagas…) à la liste des animaux qui ne consomment pas le placenta. Si cette affirmation est fréquemment reprise, elle ne semble toutefois pas été confirmée par d’autres spécialistes – notamment concernant les animaux non domestiqués.

[2] Mark Kristal rapporte en revanche des cultes autour du placenta : totems, enterrements rituels, préservation d’une portion de l’organe comme un talisman… La majorité des cultures "brûle ou enterre le placenta". Dans la tradition shilluk (éthnie présente au Soudan du Sud), le placenta est enterré au pied d’un arbre fruitier, et le fruit consommé par la mère à la saison suivante. En Chine, le placenta est préservé et séché à des fins médicinales ; toutefois, l’ancienneté (et la popularité) de la démarche reste débattue.