Radicalisation des jeunes : comment sortir de l'emprise ?

Certains adolescents se radicalisent, parfois jusqu'à commettre des atrocités. Pour les sortir de cette idéologie et de l'emprise de Daesh, différentes techniques sont employées. Les explications de Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

Dans quel contexte intervenez-vous?

Les jeunes recrutés par Daesh souffrent de certains troubles psychologiques et parfois psychiatriques. Ces jeunes sont en rupture avec leur famille, avec leurs amis, avec le milieu scolaire, avec la musique, avec les activités sportives… Ils ont complètement adhéré à une autre identité. Ils ont perdu leur identité d'avant et ils sont rentrés dans une identité de groupe. On a parfois l'impression qu'ils sont tous pareils comme dans les sectes. Ils sont également dans une vision paranoïaque et très complotiste du monde. Ils se méfient de tout le monde et ont été bombardés de messages toute la journée leur demandant de se méfier de tout.

A partir de là, comment procédez-vous? 

  • Privilégier une approche familiale

Il s'agit de restaurer un individu qui s'est perdu. Il s'agit de lui permettre de retrouver ses propres contours et de renouer avec la personne qu'il était avant. Et pour cela, il existe deux approches concomitantes : une approche émotionnelle et une approche cognitive. Moi je privilégie toujours l'approche familiale. Nous recevons les familles pour remettre émotionnellement les jeunes en rupture (toxicomanes, anorexiques…) dans le milieu familial. Toute la famille est convoquée (frères, sœurs, grands-parents…). Tout le monde est présent et cela crée un vrai choc émotionnel pour le jeune en rupture qui se retrouve immergé dans des relations affectives parfois conflictuelles… On retrouve les mécanismes d'emprise dans lesquels il était dans sa famille, ce qui fait qu'il a cherché d'une certaine façon une emprise ailleurs.

  • Ne pas rentrer dans un discours religieux

Il ne s'agit pas de rentrer dans un discours religieux avec ces jeunes. Il ne faut pas leur dire que la religion à laquelle ils ont adhéré n'est pas bonne ou que c'est une vision falsifiée de la religion. En revanche, il faut mettre l'accent sur tout ce qui, cognitivement, leur a permis d'adhérer à des fausses croyances, à des fausses idéologies… Il faut démonter les théories du complot. Il faut effectuer ce travail avec des groupes qui font intervenir des personnes sortant de prison, des personnes qui ont été en Syrie... Et avec tous ces différents niveaux d'élaboration du discours, ces jeunes arrivent à critiquer ce à quoi ils adhéraient.

  • Les soins plutôt que la prison 

Pour ces jeunes en souffrance psychologique, il est très important de prendre en compte la souffrance psychologique. La prison n'est pas une bonne solution pour les mineurs, il faut leur laisser l'opportunité de rentrer dans un processus de soins. La place d'un mineur n'est pas en prison, il faut plutôt privilégier un processus d'essai de prise en charge psychiatrique.

  • Rompre avec les structures qui embrigadent les jeunes

L'embrigadement virtuel via Internet est très fort. Cela crée une sorte d'hypnose chez les jeunes. Il suffit qu'ils se reconnectent quelques secondes pour qu'ils retombent dans cet état d'hypnose et de suggestion par rapport aux recruteurs. Il faut donc couper les jeunes de tout ce dispositif et malheureusement quand ils peuvent se reconnecter, on a vu plusieurs fois des jeunes rechuter alors qu'on pensait qu'ils s'en étaient sortis. Cela ne veut pas dire que le dispositif ne fonctionne pas mais il faut tout de même se laisser du temps.