Peut-on manger bio avec un budget serré ?

Il faudrait manger bio, écolo, avec peu de viandes pour être en bonne santé tout en prenant soin de la planète... Mais ce type d'alimentation est-il possible lorsque l'on a de faibles revenus ? Les réponses de Frédéric Denhez.

La rédaction d'Allo Docteurs
La rédaction d'Allo Docteurs
Rédigé le , mis à jour le

Quand on a juste quelques euros par jour et par personne pour manger, on fait ce qu’on peut. Et le "on", concerne environ 5 millions de Français !

Toutes les études menées dans le monde occidental le démontrent, le "profil nutritionnel" des plus démunis affiche peu de micronutriments, peu de fibres, peu de vitamines parce qu’ils mangent peu de fruits et de légumes (études Abena, ministère de la Santé)… En revanche, on retrouve dans le sang des personnes les moins riches des fructoses libres en grande quantité, à cause notamment d’une consommation plus élevée de sodas (riches en fructose libre), d'après la chercheuse Maria-Isabel Mesana. 

Ce que mangent les moins riches c’est du gras, du sucré, des plats tout préparés, bref une nourriture industrielle ultratransformée. C’est catastrophique pour l’organisme. Mais voilà, ces aliments ont l’avantage de combler vite, dans tous les sens du terme, et de couper la faim rapidement. Car ce sont des concentrés de calories, que les nutritionnistes disent "calories vides", mais ce sont des calories peu chères. 

Le panier bio en moyenne 30% plus cher   

Pourtant, manger bien ne coûte pas cher, affirment les supporters du bio qui disent aussi parfois, que, si les pauvres n’achètent pas de bio, c’est parce qu’ils ne font pas d’effort ! Eh bien c’est faux, tout dépend de la façon de constituer le "panier moyen". Selon les méthodes de mesure, la différence entre un panier de courses moyen "normal" et "bio", est de 26% contre 74% plus cher. En général, on est à 30% plus cher. 

Quand on compare maintenant ce que dépensent pour se nourrir les gens qui ne mangent rien en bio, et ceux qui ne mangent que du bio, l’écart n’est que de 12%. La différence est due au fait que les tout-bio mangent moins de tout dont beaucoup de végétaux. Ils font tout eux-mêmes, mangent nettement moins de viandes, et ont moins de comportements alimentaires addictifs (produits transformés, alcools, cigarettes). 

Le bio, ça coûte plus cher, et même si on se serre la ceinture par choix de vie, 12% de plus, c’est énorme quand on n’a pas un sou. On ne parle même pas des produits sans gluten, végans et autres.

Cuisiner coûte cher en énergie

Les plus démunis ne mangent pas mal uniquement à cause du prix des aliments. Un autre élément auquel on ne pense pas est pourtant déterminant. Dans un plat tout préparé, il n'y a rien à cuire mais juste à réchauffer dans le micro-ondes. Dans les distributions alimentaires, beaucoup de gens préfèrent également les conserves aux produits frais parce que les produit frais bruts coûteraient de l’électricité ou du gaz pour être cuits.

Il faut dire que très souvent, les gens qui ont peu d’argent pour manger ont aussi peu d’argent pour se chauffer et mettre de l’essence dans leur voiture.   

On appelle cela la précarité énergétique. C’est quand on dépense au moins 8% de son salaire dans le gaz, l’électricité et le fuel, à multiplier par 2 avec la voiture. Ça fait 10% de la population. 

Pour les plus pauvres (les 5 millions en insécurité alimentaire), l’énergie totale peut dépasser 25% des dépenses, voire, 50%. Il est impossible de faire un pot-au-feu avec des légumes frais bios et locaux dans ces conditions.

Quand on n’a pas d'argent, on achète des calories pas chères et qui ne coûtent pas cher à chauffer, et en plus émettent peu de carbone. La nourriture industrielle, parce que sa production est optimisée, consomme peu d’énergie et émet donc peu de carbone. Les discours écologiques, quand ils sont ramenés au seul indicateur carbone, se tirent une balle dans le pied.

On mange quand on a payé tout le reste

Dans une étude d’ATD Quart-Monde, on apprend en fait que l’alimentation sert de variable d’ajustement dans les budgets, après le paiement du logement et des factures.

ATD s’appuie notamment sur les travaux d’un de ses membres, Pascal Percq. Il montre que dans les familles à très faibles revenus de l’agglomération de Dunkerque, on ne peut plus manger à sa faim en dessous de 4,50 euros par jour. À partir du 15 du mois la moitié des parents interrogés par M. Percq ne prennent plus qu’un seul repas par jour et à partir du 20, beaucoup ne prennent plus que deux repas par semaine. 

Le reste du temps, ils grignotent, et se privent pour leurs enfants. Parler de bio et de véganisme aux gens, ils sont tous d’accord, mais n’ont pas les moyens. Ils expliquent dans les enquêtes que ces injonctions écolo-alimentaires sont insupportables car très culpabilisantes. 

Pour eux qui se sentent déjà coupables de leur statut social, de faire vivre une vie difficile à leurs enfants, et qui ont du coup une très mauvaise image d’eux-mêmes, ce genre de discours ne les aide pas. Au contraire, ça les grignote un peu plus.

Malbouffe et dignité

Ça peut même se révéler contre-productif, car manger de la "malbouffe", peut aussi prouver qu’on existe dans une société qui dit de faire tout le contraire. Une forme de démonstration de sa dignité. 

Les travaux de Dominique Paturel de l’INRA montrent que la viande reste symboliquement très forte dans les milieux populaires. Parce qu’en acheter encore un peu, c’est prouver qu’on n’est pas - encore - tombé dans la misère. C’est dire zut aux injonctions alimentaires, et surtout parce que la viande, c’est le partage. Les gilets jaunes, sur un rond-point font brûler des saucisses, pas des courgettes !

Initiatives locales et dignité retrouvée

Il y a de l'espoir, comme à Soumoulou, commune française située dans le département des Pyrénées-Atlantiques. Les habitants y font du troc (un steak contre deux heures de ménage …) et cultivent un potager commun, de 350 m², qui a produit en 2018 1,6 t de légumes - douze légumes d’été, sept légumes d’hiver, - qui permettent de nourrir 36 familles. Avec en plus le bien-être que procure le travail du sol. 

À Lyon, une association a trouvé une autre méthode, elle s’appelle, Vrac. Fondée par Boris Tavernier, aujourd’hui implantée à Bordeaux, Toulouse, Paris, elle a réussi l’impensable : proposer aux démunis une grande diversité de produits presque tous bio, presque tous locaux, de haute qualité, qu’on ne trouve habituellement que dans les magasins bio. Du haut de gamme pas cher, sans léser les producteurs, grâce aux achats en groupe, et au charisme redoutable de M. Tavernier qui a convaincu maints producteurs de négocier sans négocier leurs prix de revient. 

Rien n’est gratuit, on paie ce dont on a besoin, on découvre de nouveaux produits, on peut choisir, on ne sent pas jugé, et on se surprend à pouvoir manger comme les "riches". On redécouvre ce qu’est l’alimentation, c’est-à-dire du plaisir et de la sociabilité. Des femmes disent que la qualité des produits vendus ici leur avaient fait retrouver le goût et la saveur des produits qu'elles avaient connus, dans leur pays d'origine. Cela les a conduites à partager recettes et plats. 

Preuve que bien manger rime avec dignité retrouvée.