Un médicament inventé par l'homme... existait-il déjà dans la nature ?

En 1977, la société pharmaceutique Grünenthal lançait sur le marché un analgésique de synthèse inédit, le Tramal. Forme simplifiée de la morphine, la molécule active du médicament avait été entièrement élaborée en laboratoire. Vingt-six ans plus tard, des chercheurs français affirment avoir découvert que cette molécule est produite en grande quantité, à l'état naturel, par un petit arbuste commun de l'Afrique sub-saharienne.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Un médicament inventé par l'homme... existait-il déjà dans la nature ?

Le Nauclea Iatifolia, mieux connu sous le nom de "pêcher africain", est un petit arbuste présent sur tout le territoire sub-saharien. Des décoctions à base de cette plante sont traditionnellement utilisées au Cameroun pour traiter fièvres, paludisme, épilepsie et douleurs. Cherchant à identifier la présence éventuelle de composés d'intérêt pharmaceutique dans cette plante, une équipe scientifique française a eu la stupéfaction d'y découvrir une très forte concentration… de tramadol.

Or, ce tramadol, une forme épurée de morphine (qui conserve néanmoins les éléments indispensables aux effets analgésiques) a été imaginé en 1977 par une société allemande !

Le premier réflexe des chercheurs a été de suspecter une contamination des échantillons analysés. Cependant, aucune molécule de tradamol n'était détectée dans les parties aériennes de l'arbuste (feuilles, tronc, branches), tandis que l'écorce semblait en regorger. Une analyse ultérieure de racines de plusieurs nouveaux échantillons de Nauclea Iatifolia a néanmoins dissipé les doutes des chercheurs : toutes les plantes collectées contiennent du tramadol.

Si ces observations, publiées début septembre 2013 dans la revue Angewandte Chemie, venaient à être confirmées, elles ne seraient pas reléguer au chapitre des "insolites" de l'histoire des sciences. Certes, et malheureusement pour Nauclea Iatifolia, les végétaux ne peuvent pas porter en justice les affaires de détournement de brevet... (1) Mais les chercheurs jugent que cette découverte "ouvre des perspectives aux populations locales pour accéder à des sources de traitement bon marché".

Le tramadol a néanmoins fait l'objet de nombreuses critiques ces dernières années. Son emploi peut entraîner une forte dépendance, il est utilisé comme drogue dans certains pays du Moyen-Orient. La molécule fait partie de la liste des médicaments sous surveillance de l'Agence de sécurité du médicament (Ansm). Après trois décennies d'utilisation, la recherche a également établi une très longue liste de contre-indications et d'effets secondaires pour ce type d'analgésique.

De fait "cette étude [autorise] à mettre en garde contre les risques de pharmacodépendance liés à la surconsomation des racines de cette plante", note Michel de Waard, coordinateur des recherches.

Nul doute que le romancier Georges Perec, auteur de plusieurs récits fantastiques mettant en scène des "plagiats par anticipation", aurait aimé saluer l'équipe de Michel de Waard...

(1) A noter que les laboratoires pharmaceutiques ont tout à fait le droit de breveter une molécule naturelle dans la mesure où ils sont parvenus à l'isoler. De fait, l'hypothèse (qui vous a peut-être traversé l'esprit !) selon laquelle la synthèse de tramadol aurait pu être inspirée, en 1977, par une analyse du Nauclea Iatifolia est très invraisemblable... le laboratoire Grünenthal ayant eu, le cas échéant, tout intérêt à exploiter une ressource naturelle prolifèrant à l'échelle d'un continent !

Source : Occurrence of the Synthetic Analgesic Tramadol in an African Medicinal Plant, Michel De Waard et al. Angewandte Chemie, sept. 2013. doi:10.1002/anie.201305697