Discours alimentaires : panique dans notre assiette !

Des poissons aux métaux lourds, des légumes aux pesticides, des céréales OGM... Aujourd'hui, les messages anxiogènes sur l'alimentation sont de plus en plus nombreux. Pourtant, plus les discours alimentaires sont alarmistes, moins les choses bougent chez le consommateur. Les explications avec Laurence Haurat, psychologue nutritionniste.

La rédaction d'Allo Docteurs
La rédaction d'Allo Docteurs
Rédigé le , mis à jour le

Des poissons aux métaux lourds, des légumes aux pesticides, des poulets lavés à l'eau de Javel, de la viande de boeuf qui, lorsqu'elle n'est pas folle, est de cheval, des biscuits ou de la soupe aux acides gras hydrogénés, de l'eau aux perturbateurs endocriniens... Tout cela, responsable de cancers, diabète, obésité, maladies cardiovasculaires, problèmes articulaires et autres maladies auto-immunes. Sans compter l'impact sur la planète et toutes les espèces qui risquent de disparaître parce que nous surconsommons. Tous ces constats sont catastrophistes et amènent la plupart des personnes, même bien informées, à avoir une attitude plutôt négative.

Des habitudes qui ne changent pas

Toutefois, les personnes ne se disent pas qu'il faut changer, qu'elles doivent prendre de nouvelles habitudes. Au contraire, à force de messages anxiogènes et contradictoires (par exemple : le saumon est intéressant pour les omega 3 mais il contient des métaux lourds), les consommateurs ne comprennent plus rien. Ils décident alors de ne pas changer leurs habitudes et de ne pas se poser de questions. 

Lorsque l'anxiété devient trop importante, trop répétitive et généralisée, la personne opère un repli sur ce qu'elle connaît bien, sur ses habitudes, ses références, ses points de repère. Même si on lui dit que ses habitudes doivent changer, que ses références ne sont plus d'actualité, la personne aura tendance à s'accrocher à ce qu'elle connaît bien, même si elle sait que ça dysfonctionne.

C'est toute la problématique des recommandations nutritionnelles. Une partie de notre cerveau, la partie qui manie les connaissances sait, comprend, analyse, élabore intellectuellement. Mais ce n'est pas pour autant que l'on met en application ce que l'on sait. En consultation, les personnes nous disent : "je sais ce que je devrais faire, mais je n'y arrive pas". Exactement comme pour le tabac. Sauf que l'alimentation est vitale et elle concerne tout le monde.

Des règles nutritionnelles difficiles à appliquer ?

Il est particulièrement compliqué d'appliquer des règles nutritionnelles. Tout d'abord parce qu'il y a quelque chose à voir avec la liberté du mangeur : je mange ce dont j'ai besoin, quand je veux, dans les quantités que je veux. C'est ce que fait le nourrisson. Mais en grandissant, on se rend compte qu'on est formaté par un environnement familial, une position socio-professionnelle, des règles de bienséance (finir son assiette, ne pas jeter, etc.), des règles édictées par la société qui nous entoure.

Et petit à petit, on essaie de faire cohabiter des règles internes (j'ai faim, je n'ai pas faim, j'ai assez mangé, j'ai besoin, j'ai envie) avec des règles externes. Comme elles ne vont pas toujours dans le même sens, et qu'elles sont dissonantes, cela crée une espèce de faille intérieure psychologique, très inconfortable. À force d'édicter des tas de règles à base de "il faut", "il ne faut pas", "c'est bon", "ce n'est pas bon", "c'est trop riche", etc. le consommateur humain finit par ne plus savoir où donner de la tête.

Il faut donc se recentrer sur sa faim, son rassasiement, ses envies, ses appétits spécifiques. De manière à pouvoir être au mieux en phase avec soi. Ensuite, il faut comprendre que l'homme a naturellement peur du changement parce qu'il ne sait pas vers quoi ça l'amène. Pour pouvoir accepter un changement, il faut se donner un but, qui nous paraît accessible. Ce but est différent pour chacun.

Evaluer les bénéfices d'un changement pour le rendre positif

Il faut aussi pouvoir évaluer les bénéfices d'un changement pour le rendre positif. Par exemple, décider de ne plus boire d'eau en bouteille mais de l'eau du robinet, c'est porter moins de lourdes charges quand on va faire les courses. Manger moins de viande, moins souvent, c'est pouvoir se permettre financièrement d'acheter de la meilleure viande, de meilleure qualité, avec un goût meilleur. Se faire livrer un panier de légumes par une Amap, c'est savoir qu'on permet à des agriculteurs de travailler dans de bonnes conditions...

Lorsqu'on met en avant des bénéfices tels que "ça va être mieux pour votre santé", ou alors "c'est mieux pour la planète de manger comme cela", ce sont des bénéfices putatifs, à long terme et difficiles à percevoir pour la personne. Le consommateur va percevoir des bénéfices directs. Il est alors dans quelque chose de positif, de porteur, un élan de changement, bien loin de l'anxiété et de la paralysie qu'elle engendre.