Vincent Lambert : le Conseil d'Etat pour une nouvelle expertise médicale

Le Conseil d'Etat devait statuer, le 13 février 2014, sur le cas de Vincent Lambert, cloué sur son lit d'hôpital depuis cinq ans en état "pauci-relationnel". Lors de l'audience, le rapporteur public s'est prononcé en faveur d'une nouvelle expertise médicale sur la personne de Vincent Lambert, tétraplégique en état végétatif chronique. Le Conseil d'Etat a validé cette demande le 14 février, annonçant qu'il se prononcerait sur le sort de Vincent Lambert "avant l'été", après l'expertise, selon l'AFP.

La rédaction d'Allo Docteurs
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VIDEO - Entretien avec le Dr Eric Kariger, médecin de Vincent Lambert, invité sur le plateau du Magazine de la santé le 13 février 2014, avant la décision du Conseil d'Etat de se prononcer après une nouvelle expertise médicale.
VIDEO - Entretien avec le Dr Eric Kariger, médecin de Vincent Lambert, invité sur le plateau du Magazine de la santé le 13 février 2014, avant la décision du Conseil d'Etat de se prononcer après une nouvelle expertise médicale.

La plus haute juridiction administrative a suivi les préconisations du rapporteur public, Rémi Keller, qui avait prôné la prudence, recommandant que trois nouveaux médecins spécialisés se penchent sur l'état de santé du patient.

Cette mesure est "exceptionnelle dans une procédure d'urgence", a commenté le vice-président du Conseil d'Etat, Jean-Marc Sauvé, lors d'une déclaration à la presse, mais elle est "indispensable pour que le Conseil d'Etat puisse pleinement remplir sa mission de juge administratif suprême".

Le Conseil d'Etat a aussi jugé que la loi Leonetti de 2005, qui proscrit l'acharnement thérapeutique, "s'applique à des patients, qui comme M. Vincent Lambert, ne sont pas en fin de vie" et "que l'alimentation et l'hydratation artificielle constituent, au sens de cette loi, un traitement qui peut être interrompu en cas d'obstination".

Les trois médecins qui conduiront la nouvelle expertise médicale devront "se prononcer sur le caractère irréversible" des lésions cérébrales de Vincent Lambert et sur le pronostic clinique, a expliqué le Conseil d'Etat.

Ils devront déterminer "si ce patient est en mesure de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage" et devront apprécier si les réactions éventuellement décelées "peuvent être interprétées comme un rejet de soins, une souffrance" ou, au contraire, comme "un souhait que ce traitement soit prolongé".

Ils "rendront leur rapport dans un délai de deux mois à compter de leur désignation" et le Conseil d'Etat rendra sa décision "avant l'été".

"Il est inhabituel de proposer une mesure d'instruction", avait reconnu le 13 février Rémi Keller, mais il s'agit d'une affaire "hors norme". Cette expertise permettrait selon lui au Conseil d'Etat de "prendre la meilleure décision".

Une affaire hors normes

L'épouse de Vincent Lambert, Rachel, et son neveu François, ainsi que le CHU de Reims où il est soigné depuis son accident de voiture en 2008, ont saisi la plus haute juridiction administrative française pour qu'elle annule un jugement rendu le 16 janvier 2014 par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.

A la demande des parents, cette instance juridique avait décidé le maintien en vie de Vincent Lambert contre l'avis des médecins. Ces derniers, en concertation avec une partie de la famille, s'étaient prononcés pour l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielle du patient comme le prévoit la loi Leonetti, votée en 2005.

Cette loi interdit l'acharnement thérapeutique et permet l'euthanasie passive par l'arrêt des traitements lorsqu'ils sont jugés "disproportionnés". Elle admet aussi l'administration d'antidouleurs jusqu'au point "d'abréger la vie".

Pour le Dr Eric Kariger, qui dirige le service de soins palliatifs du CHU de Reims, Vincent Lambert "est atteint d'une maladie grave et incurable". En état "pauci-relationnel", il a "des lésions cérébrales graves et irréversibles, une incapacité à exprimer ses volontés".

Mais dans la famille de Vincent, deux clans se sont formés, en désaccord total sur la fin de vie de cet homme de 38 ans. D'un côté, Viviane et Pierre, les parents, catholiques traditionalistes, opposés à son euthanasie passive. De l'autre, son épouse Rachel et une partie de sa famille, déterminés à respecter ses volontés.

Décision attendue de la plus haute juridiction administrative

Vincent "ne voulait pas de vie diminuée", affirme Rachel Lambert, pour qui le "laisser partir" constitue un "acte d'amour".

Ses parents dénoncent eux une tentative d'assassinat d'un "handicapé", persuadés que leur fils "est présent" et qu'il veut vivre.

Le 6 février 2014, chaque camp a exprimé sa position devant le juge des référés du Conseil d'Etat. Celui-ci, au vu du caractère éminemment complexe de l'affaire, a décidé de la renvoyer devant une formation collégiale.

L'assemblée du contentieux, formation de jugement la plus élevée du Conseil d'Etat, se penche donc le 13 février 2014 en audience publique sur le sort de Vincent Lambert.

Les 17 magistrats de l'assemblée, présidée par le vice-président et plus haut magistrat du Conseil d'Etat, Jean-Marc Sauvé, écouteront les arguments des avocats de chaque partie puis le rapporteur public exposera la solution qui lui semble devoir être adoptée. Le Conseil d'Etat mettra ensuite sa décision en délibéré.

Les magistrats doivent se prononcer sur la décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne mais, plus largement, la communauté médicale et les opposants à l'euthanasie passive attendent de connaître la position de la plus haute juridiction administrative sur cette question.

Le député UMP des Alpes-Maritimes Jean Leonetti a dit espérer que la loi dont il est l'auteur, "qui est mise en place depuis presque dix ans et qui condamne l'acharnement thérapeutique, ne va pas être remise en cause parce que ce serait un retour en arrière".

"Si le Conseil d'Etat allait dans un autre sens, il faudrait à ce moment-là repréciser la loi parce que je pense qu'aucun Français ne souhaite vivre en survie artificielle, qui n'est pas une vie", a-t-il expliqué.

 

VOIR AUSSI :

 

Chronologie

Sept 2008 : Vincent Lambert est hospitalisé à Reims après un accident de la route. Il est plongé dans un coma artificiel sans avoir écrit de directives précisant son opposition à tout acharnement thérapeutique.

Avril 2013 : un protocole de fin de vie est engagé par le CHU de Reims en accord avec la femme de Vincent. Pour les médecins, le malade multiplie des "comportements d'opposition aux soins", "faisant suspecter un refus de vivre".

Mai 2013 : le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ordonne le rétablissement de l'alimentation après une saisine des parents, catholiques traditionalistes opposés à l'euthanasie passive de leur fils.

Automne 2013 : Une réflexion sur la fin de vie de Vincent Lambert est conduite 4 mois durant avec l'ensemble de sa famille et quatre experts. Seul les parents plaident en faveur du maintien en vie.

11 janvier 2014 : le CHU informe la famille de la décision d'arrêter les traitements de nutrition et d'hydratation artificielles du patient, conformément à la loi Leonetti.

13 janvier 2014 : les parents, une soeur et un demi-frère de Vincent Lambert saisissent le tribunal administratif pour s'opposer au protocole.

16 janvier : le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne se prononce contre la décision d'euthanasie passive. Il juge que "la poursuite du traitement n'était ni inutile, ni disproportionnée".

28 janvier : Rachel Lambert annonce saisir le Conseil d'Etat pour demander l'arrêt du "maintien en vie artificielle" de son mari, rejointe le lendemain par le CHU de Reims.

6 février : le Conseil d'Etat décide de renvoyer l'affaire à une formation collégiale.