Vie conjugale : la nourriture adoucit l'humeur

INSOLITE - Est-il aisé de contrôler nos émotions lorsque notre cerveau manque de carburant pour raisonner ? Afin de répondre à cette épineuse question, les psychologues de l'université d'état de l'Ohio ont impliqué une centaine de couples dans un protocole scientifique surprenant, impliquant des "poupées vaudou" et des jeux vidéos truqués...

La rédaction d'Allo Docteurs
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Il/elle devait avoir très très très faim... (image d'illustration) Crédits : cc-by-sa Beatrix Belibaste
Il/elle devait avoir très très très faim... (image d'illustration) Crédits : cc-by-sa Beatrix Belibaste
Le professeur Brad Bushman et l'une des 214 poupées utilisées durant l'expérience. (droits réservés)
Le professeur Brad Bushman et l'une des 214 poupées utilisées durant l'expérience. (droits réservés)
L'une des poupées de Brad Bushman. (droits réservés)
L'une des poupées de Brad Bushman. (droits réservés)

Des psychologues de l'Université d'état de l'Ohio ont cherché à déterminer si le taux de glucose dans le sang pouvait être corrélé au risque d'agressivité des membres d'un couple marié. A cette fin, les chercheurs ont recruté 107 couples hétérosexuels, mariés depuis plusieurs années.

L'étude, parue le 14 avril 2014 dans les très sérieux Comptes-rendus de l'Académie américaine des sciences (PNAS), a été dirigée par l'un des lauréats des derniers IgNobel (les "anti-Nobel", qui récompensent les recherches les plus improbables).

Trois semaines durant, les recherches se sont concentrées sur "l'impulsivité agressive" des 214 sujets. Matin et soir, chacun d'entre eux devait mesurer son taux de glucose sanguin(1). Ils devaient également, à la nuit tombée, défouler leurs frustrations conjugales sur... une petite poupée vaudou représentant leur époux/épouse. Cinquante-et-une petites épingles étaient mises à disposition de chaque participant.

Au fil des 21 jours de l'expérience, les chercheurs ont recensé le nombre d'aiguilles plantées dans le corps de chaque poupée. Après analyse des résultats, il apparaît que plus le taux de glucose moyen d'un individu est faible, plus la "poupée vaudou" tend à être piquée…

Un jeu vidéo truqué pour énerver les joueurs

A l'issue de cette phase d'expériences, les scientifiques ont convié les participants dans leur laboratoire. Les cobayes furent alors invités à se défier à un jeu vidéo.

Isolés dans des salles séparées, un casque vissé sur leurs oreilles, les joueurs se sont affrontés dans 25 manches d'un jeu d'adresse et de rapidité. Le gagnant d'une manche pouvait faire retentir un son dans les écouteurs de son conjoint et adversaire, en modulant à loisir son intensité et sa durée.

Afin de garantir la quasi-symétrie des résultats, le jeu vidéo était soigneusement truqué : en réalité, l'adversaire était dans tous les cas l'ordinateur, programmé pour perdre 12 fois sur 25 (une astuce soupçonnée par seulement 3 participants sur 214).

Là encore, le taux de glucose sanguin avant l'expérience s'est trouvé corrélé à la durée et à l'intensité du son que les joueurs pensaient faire retentir dans les oreilles de leur conjoint.

Estomac vide ou manque de self-control ?

Pour les membres de l'équipe du professeur Brad Bushman (cosignataire d'un article distingué l'an passé par l'IgNobel de psychologie !) la cause est entendue : "la maîtrise de soi nécessite de l'énergie, et cette énergie est fournie en partie par le glucose."

"[De nombreuses études ont déjà montré] qu'une faible glycémie est associée à des difficutés de concentration, de régulation des émotions et une tendance aux pulsions aggressives", poursuit-il. "[Mais à notre connaissance], cette étude est la première à explorer l'hypothèse selon laquelle de faibles niveaux de glucose pourraient être associées à un accroissement des tendances aggressives à l'égard d'un conjoint."

Selon les chercheurs, augmenter le taux de glucose sanguin chez les personnes agressives (de façon artificielle ou... par de bons repas !) pourrait constituer "un outil potentiellement efficace pour réduire l'agressivité, en renforçant les ressources qui autorisent le self-control". Ils émettent d'ailleurs l'hypothèse que les personnes qui suivent un régime pourraient être plus irritables que les autres.

Reste que le lien entre glycémie et irritabilité pourrait se jouer non pas au niveau des aires cérébrales du contrôle des émotions... mais au niveau du ventre. Lorsque le taux de glycogène (un composé du glucose) dans votre foie descend sous un certain seuil, des signaux chimiques sonnent l'alerte en déclenchant une sensation : la faim !

Cette étude démontre donc peut-être, bien simplement, que "ventre (fréquemment) affamé n'a ni d'yeux ni d'oreille pour l'être aimé".

Avec malice, Brad Bushman conclut : "avant de vous lancer dans une conversation difficile avec votre conjoint, assurez-vous bien d'avoir l'estomac plein."

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(1) Les participants mesuraient eux-mêmes leur taux de glucose, et transmettaient les données sur une base quotidienne au laboratoire du professeur Bushman. La connaissance de ce taux peut avoir influencé leur comportement et les résultats de l'expérience.

 

Source : Low glucose relates to greater aggression in married couples. B.J. Bushman et coll. PNAS avril 2014. doi:10.1073/pnas.1400619111 http://www.pnas.org/content/early/2014/04/09/1400619111.abstract?sid=e4bc6930-1d37-4df8-8cce-8f39f547e36d

L'utilisation de "poupées vaudou" pour évaluer les tendances agressives d'un individu a fait l'objet d'une dizaine d'études rigoureuses, qui ont conduit à l'élaboration d'un protocole expérimental très codifié. Toutefois, ce protocole expérimental reste surprenant pour bien des observateurs. Comme le relate le site Improbable Research, l'équipe du professeur Bushman a reçu un appel de l'institution bancaire auquel est rattaché leur laboratoire, soupçonnant au vu de l'étrangeté de l'achat (plus de 200 poupées, pour un montant de 5000$) que leur carte de crédit avait été piratée.

Source : The voodoo doll task: Introducing and validating a novel method for studying aggressive inclinations. C.N. Dewall et coll. Aggress Behav. nov. 2013 doi:10.1002/ab.21496.