Une molécule anti-alcool ?

Une équipe de l'Inserm, au terme de travaux réalisés depuis plus de dix ans dans le domaine de l'addiction, a découvert le moyen de diminuer de 75 % la consommation d'alcool chez des rats dépendants.

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
La consommation des rats alcoolodépendants a chuté de 75 %
La consommation des rats alcoolodépendants a chuté de 75 %

Depuis plusieurs années, les scientifiques du Groupe de Recherche sur l'Alcool et les Pharmacodépendances (GRAP) s'interrogent sur les mécanismes moléculaires associés au développement de la dépendance à l'alcool.

En 2002, ces chercheurs avaient déjà découvert, dans une zone du cerveau connue pour être le siège des processus de "récompense", que certains récepteurs situés à la surface des neurones jouaient un grand rôle dans l'addiction. Ces travaux dirigés par le professeur Naassila, avaient en effet démontré que des souris dépourvues de ces récepteurs – les A2AR – étaient beaucoup plus consommatrices d'alcool que les autres.

Six ans plus tard, le GRAP publiait un important article scientifique révélant que la consommation d'alcool par des rongeurs génétiquement "amateurs d'alcool" était réduite par une activation des fameux récepteurs (sensibles à la molécule CGS21680).

Les scientifiques ont progressivement compris le processus en jeu. L'activation d'A2AR entraîne la synthèse d'une molécule qui va diminuer la production de dopamine par l'organisme. Or, non loin des A2AR se trouve une seconde catégorie de récepteurs qui, en présence de dopamine, initient un processus qui diminue la production d'endorphine. Moins de dopamine signifie donc, mathématiquement, plus d'endorphine ! Et l'endorphine n'est rien d'autre que la molécule à l'origine même de la sensation de satisfaction. Déverser des CGS21680 sur les A2AR permet donc d'être "satisfait" plus rapidement…

Tester ce principe sur des rats dépendants

Les chercheurs du GRAP, au terme d'une nouvelle étude publiée début janvier 2013 dans la revue Addiction Biology, ont appliqué ce principe à des rats non plus simplement "amateurs" d'alcool, mais littéralement dépendants.

"L'idée était ici d'évaluer la quantité de travail que le rat était capable de fournir pour s'alimenter en alcool", nous explique Hakim Houchi, signataire de l'étude. "Les animaux ont été placés, 30 minutes durant, en présence d'un appareil qui délivrait de l'alcool par actionnement d'une pédale."

En temps normal, les rongeurs alcoolodépendants activent très fréquemment le système, pour pouvoir boire beaucoup. Les rats non dépendants ne sont pas en reste, mais modèrent néanmoins leur consommation. Après avoir mesuré les "performances" des animaux, les scientifiques ont reproduit l'expérience en injectant, un quart d'heure avant la séance, une dose de CGS21680 dans le ventre des animaux… "Résultat : au cours de la même période de test, les rats activent le levier beaucoup moins fréquemment. La consommation des alcoolodépendants a ainsi chuté de 75 %, et celle des non dépendants de 57 %. Aucun effet indésirable majeur n'a été observé." 

Le fait que cette stratégie fonctionne effectivement – et de façon spectaculaire ! – sur les rats fortement dépendants pourrait ouvrir de réelles perspectives pour un traitement de l'alcoolisme humain.

Le CGS21680 – un analogue de l'adénosine – ne persiste pas longtemps dans l'organisme. "Le principe d'un traitement à base de cette molécule serait d'agir ponctuellement, pour peu à peu restaurer le seuil de satisfaction normal à l'alcool, altéré au fil des ans par une trop forte consommation", nous précise Hakim Houchi.

Une question de dosage

Pour parvenir à leurs résultats, les chercheurs ont dû identifier la juste concentration de molécule à administrer aux rats. En effet, des récepteurs de CGS21680 se trouvent à différents niveaux des neurones… et selon leur emplacement, leur activation n'engendre pas la synthèse du même type de molécule. Ainsi, si la concentration de molécule est trop faible, seuls les récepteurs situés avant les synapses seront activés. Or, ceux-ci produisent des molécules qui vont entraîner, rapidement, une diminution de la production d'endorphine. L'effet est inverse de celui recherché, puisque les rats deviennent insatiables… Mais il ne faut pas trop augmenter les doses, car d'autres récepteurs de l'adénosine, les A1, pourraient être activés… Avec pour résultat une inactivité et une prostration totale de l'animal. Ses fonctions motrices sont momentanément touchées, et il est incapable de réaliser un mouvement volontaire. L'exercice du dosage nécessite donc un certain talent !

Les chercheurs de l'Inserm espèrent que d'autres scientifiques reprendront leurs travaux et essaieront d'étudier la façon dont leurs découvertes pourraient être applicables à l'homme. La confirmation du rôle clef du système des récepteurs sensibles à l'adénosine et à ses analogues dans les processus d'addiction constitue une grande avancée dans la compréhension de ces dérèglements.

La découverte aurait, en tout cas, certainement enchanté le professeur Tournesol, qui avait mis au point dans Tintin et les Picaros un composé chimique destiné à dégoûter le capitaine Haddock de l'alcool… Force est de constater que les perspectives offertes par les travaux du GRAP sont à la fois plus subtiles, plus humaines et surtout… plus réalistes !

Source : The adenosine A2A receptor agonist CGS 21680 decreases ethanol self-administration in both non-dependent and dependent animals. Houchi H, Persyn W, Legastelois R, Naassila M. Addict Biol. 2013 Jan 10. doi: 10.1111/adb.12032.

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