Ondes et santé : l'étude impossible ?

L'exposition aux ondes des téléphones mobiles n'a "pas d'effet avéré sur la santé", ont conclu les experts de l'Anses dans un rapport médiatisé. Selon eux, les données fiables et de qualité sont "insuffisantes" pour pouvoir conclure à l'effet des ondes sur un certain nombre de fonctions biologiques. Parmi les centaines d'études analysées par les auteurs du document, un nombre important ont été écartées au vu d'importantes erreurs méthodologiques ou de leur trop faible validité statistique. Mais une étude qui permettrait de conclure à l'innocuité ou à la dangerosité des ondes est-elle techniquement réalisable ?

Florian Gouthière
Rédigé le , mis à jour le
Ondes et santé : l'étude impossible ?

Parmi toutes les études analysées par les auteurs du rapport de l'Anses sur les effets sanitaires des ondes électromagnétiques, près de 30% ont dû être "retoquées" pour leur manque de fiabilité. Certains travaux très médiatisés ces dernières années se sont révélés proprement inexploitables (1).

Car dans toute étude scientifique complexe, chaque petite erreur statistique (ou méthodologique) se cumule aux précédentes, et la marge d'erreur (la possibilité que les résultats de l'étude ne décrivent pas la réalité) s'accroît inexorablement.

Cependant, une majorité d'études, dont certaines démontrant l'existence de certains effets biologiques associées à l'exposition aux ondes des téléphones mobiles, possédait le degré de précision nécessaire pour servir de support à l'analyse des chercheurs. Mais ces données portent généralement sur des périodes courtes. Comment garantir à la population que les ondes n'ont aucun effet à long terme ? Surtout, existe-t-il des protocoles d'études simples qui permettraient de conclure avec un degré de fiabilité important à la dangerosité ou à l'innocuité des ondes sur la santé ?

L'impossible "groupe témoin"

Quelle serait l'étude parfaite ? C'est la question que nous avons posé au Pr Alfred Spira, épidémiologiste. "Il faudrait comparer des gens qui ont un téléphone portable avec d'autres qui n'en ont pas. Mais aujourd'hui, les personnes qui ne s'exposent pas aux rayonnements non-ionisants sont peu nombreuses, et ont un profil atypique, associé à des modes de vie qui diffèrent parfois beaucoup de ceux des personnes exposées", explique-t-il. En d'autres termes, une étude menée sur ces deux populations comparerait trop de variables simultanément, et aucun lien de cause à effet ne pourrait émerger.

"L'étude définitive serait expérimentale", s'amuse l'épidémiologiste. "Il faudrait tirer au sort un nombre très important de personnes dans la population et soit les obliger, soit leur interdire, d'utiliser leur téléphone portable. C'est bien évidemment irréalisable."

L'exemple du tabac

"Quand bien même", poursuit le professeur Spira, "l'étude unique et définitive, celle qui donnerait le fin mot de l'affaire, n'existe pas. Je prendrais l'exemple du tabac : entre les premières études sur la dangerosité du tabac par Hoffman en 1931 et la reconnaissance de cette dangerosité par la communauté scientifique, il s'est passé près de quarante ans. Ce n'est pas une étude qui a tout fait changer : c'est l'existence d'un faisceau d'arguments cohérents qui a permis de conclure."

L'accumulation de quelques éléments de doutes ne suffit pas : des observations, cohérentes et probantes, doivent se répéter dans le temps et pour différentes populations. Les doses auxquelles les personnes étudiées sont (ou ont été) exposées doivent être en lien avec des effets spécifiques (combien d'individus sont atteints dans la population selon différents niveau d'exposition). Des modèles biologiques doivent également permettre d'expliquer les phénomènes observés...

Concernant la téléphonie mobile, "il y a aujourd'hui des observations biologiques pour un certain nombre de phénomènes, mais aucune étude épidémiologique ne révèle d'effet sur la population générale", indique le Pr Spira. Et il est impossible de savoir aujourd'hui si un faisceau cohérent d'arguments consistants en défaveur des ondes se constituera ou non au fil des années.

"Il existe toutefois aujourd'hui un danger avéré et bien connu du portable", souligne avec amertume le professeur Spira. "Il est épidémiologiquement très bien documenté, appuyé par d'innombrables expériences, et donc parfaitement démontré. Il s'agit du lien entre l'utilisation du portable par les automobilistes ou les cyclistes et le nombre d'accidents."

Quelle que soit l'issue, à long terme, du débat sur les effets sur la santé des omniprésents téléphones mobiles, les raisons ne manquent pas de prendre un peu plus de distance avec eux...

 

(1) Les chercheurs qui ont dirigé la très célèbre étude épidémiologique Interphone (la plus importante étude réalisée sur les effets sanitaires des téléphones mobiles à long terme) avaient ainsi conclu en 2010 que "les biais et les erreurs [cumulés] limitent la force des conclusions qui peuvent être tirées de [leurs] analyses, et empêchent une interprétation causale."

(2) Lorsque ces études se basent sur les souvenirs des individus ou de leurs familles, des sur-déclarations ou des sous-déclarations sont possibles. Il est par ailleurs très difficile d'exclure l'existence de différences fondamentales entre les individus sains et malades (par exemple, un biais de prédisposition génétique pour une partie des malades). Et si l'étude révèle un lien entre deux phénomènes, elle ne démontre pas un lien de cause à effet (par exemple, les fumeurs stressés fument beaucoup, mais le fait du fumer beaucoup n'est pas à l'origine de leur stress). Une série d'études "cas-témoins" alarmiste sur le caractère cancérigène d'une exposition intensive aux téléphones mobiles a fait l'objet de très nombreuses critiques dans le rapport de l'Anses (pages 295 et suivantes).

En savoir plus

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Et aussi :

  • Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses)
    "Radiofréquences et santé" (PDF), avis de l'Anses, rapport d'expertise collective, octobre 2013.

Pour étudier des phénomènes qui pourraient être associés avec des temps d'incubation très longs (plusieurs années), il est possible de mettre en place des études "cas-témoins". Il s'agit de recenser un certain nombre de personnes atteintes d'une maladie, puis des individus de profil similaire ayant évolué dans le même environnement. On cherche ensuite à établir si le premier groupe a été exposé (et dans quelle proportion) à une source suspectée de contribuer à l'apparition de la maladie. Mais les études cas-témoins relatives à la téléphonie mobile ne peuvent que très faiblement contribuer au faisceau d’arguments cohérents évoqué par le professeur Spira, car elles comporte fréquemment de nombreux biais. (2)