Mélanome non diagnostiqué : une dermatologue condamnée

Une dermatologue retraitée a été condamnée au civil à verser des dommages et intérêts à un patient dont elle n'avait pas diagnostiqué le mélanome, malgré de nombreuses consultations. Le rendu jugement, daté du 27 avril 2012, n'avait pas été médiatisé à la demande de la victime. Les accusés n'ayant pas porté l’'affaire en appel, le jugement rendu est désormais définitif. Selon l'avocat du plaignant, c'est la première fois qu'un médecin est condamné au civil pour le non diagnostic d'un mélanome.

Florian Gouthière
Rédigé le
Le Palais de Justice de Reims (DR)
Le Palais de Justice de Reims (DR)

Un grain de beauté mal jugé

L'affaire a été mise en lumière par le 6 septembre 2013 par le quotidien régional L'Union. En aout 2006, un Rémois de 58 ans, inquiet de l’apparition de deux petites taches pigmentées sur sa joue droite, consulte une dermatologue de la Mutualité française de la Marne (MFM). Celle-ci estime inutile d’examiner ce qu'elle juge n'être qu'un banal grain de beauté irrité par le rasage.

Cinq mois plus tard, au cours d'une nouvelle consultation, elle réitère son diagnostic. En mars 2007, après apparition de petits saignements, l'homme revient prendre l'avis du médecin, qui réitère son diagnostic. Suivent le mois suivant deux nouvelles consultations, au cours desquelles la dermatologue persiste à juger le cas bénin.

Le patient, soucieux d'avoir un second avis, se rendra en avril 2007 au service dermatologique d'une clinique de Reims. A l'aide de lunettes grossissantes destinées à détailler les lésions, le nouveau dermatologue identifie un mélanome.

Un prélèvement est effectué le 10 mai, qui révèle un mélanome de grade IV d'une épaisseur de 2,3 cm. Il subit alors une intervention chirurgicale d'urgence destinée à ôter une large zone de peau autour de la tumeur, ainsi que les ganglions, susceptibles d'avoir été atteints. Le cinquantenaire ressort de l'hôpital avec deux cicatrices longues de dix centimètres.

Procès en civil contre la dermatologue

Peu après, l'homme intente un procès au civil contre sa dermatologue pour obtenir réparation. Le 27 avril 2012, le Tribunal de Grande Instance de Reims rend son jugement, statuant de la pleine responsabilité du médecin. Le médecin a été condamné à payer à son patient des indemnités, solidairement avec la Mutualité française de la Marne. Les accusés n'ayant interjeté d'appel dans le délai imparti par la loi, le jugement est devenu définitif. Selon Me Rouselle, l'avocat du plaignant, c'est la première fois en France que la responsabilité d'un médecin est reconnue au civil dans le non diagnostic d'un mélanome. (1)

"Le TGI a reconnu l'existence d'une faute de la dermatologue, dans la mesure où [celle-ci] n'a pas identifié la lésion", nous explique Me Rouselle. "Le tribunal a précisé que, de toute évidence, les moyens dont le patient aurait dû bénéficier n’ont pas été mis en œuvre par la dermatologue. Au cours des cinq consultations médicales, sur près de huit mois, il n'y a pas eu d'examen rapproché, ni d'exérèse."

"Une perte de chance d'être guéri"

Selon l'avocat, la dermatologue aurait développé "un a priori" à l'égard de son patient. "Elle était partie de l’idée que celui-ci exagérait. Sur l'un des certificats médicaux, elle le désigne en toutes lettres comme cancérophobe."

Le TGI de Reims a reconnu que le retard de diagnostic a entrainé, pour le client, "une perte de chance d'être guéri". Selon Me Rousselle, se référant au rapport d'expertise de l'affaire, "le mélanome qui n'était, au moment de la consultation qu'à évolution superficielle (horizontale) a eu l'occasion d'évoluer verticalement. S'il avait été diagnostiqué plus tôt, il n'y aurait pas eu d'évolution verticale." L’épaisseur du mélanome en août 2006 a été estimée inférieure 0,75mm, contre 2,3mm à la date de son extraction.

La position du syndicat des dermatologues

Interrogé par Allodocteurs.fr, le syndicat des dermatologues-vénéréologues, par la voix de sa vice-présidente, juge cette affaire "extrêmement regrettable". Le docteur Claudine Blanchet-Bardon observe néanmoins que la dermatoscopie n’est pas, à l’heure actuelle, un examen obligatoire. A ce titre, le jugement du TGI de Reims n’est pas sans conséquence. "Si on oblige tout les dermatologues à faire un examen dermatoscopique, il va falloir que l’on reconnaisse cet examen comme un acte à part entière," explique-t-elle.

"La dermatoscopie n’est aujourd’hui qu’à demi-reconnu, c’est à dire uniquement remboursé pour certaines personnes à risque. Si elle est considérée comme obligatoire, il faut que les autorités sanitaires prennent leurs responsabilités et remboursent cet acte."

(1) Selon Simon Fitoussi, avocat spécialisé en droit de la santé contacté par Allodocteurs.fr, plusieurs affaires de retard de diagnostic médical ayant entrainé une "perte de chance d’avoir été guéri" ont déjà été jugées au bénéfice du client.


En savoir plus

Sur Allodocteurs.fr :