L'e-cigarette est une nouvelle source d'addiction

La cigarette électronique permet-elle réellement un sevrage tabagique ? Peut-on devenir "accro" à ce dispositif, que celui-ci dispense ou non de la nicotine ? Trois questions au docteur Laurent Karila, psychiatre-addictologue, à l'hôpital universitaire Paul Brousse (APHP) de Villejuif.

Florian Gouthière
Rédigé le
L'e-cigarette est une nouvelle source d'addiction
  • La cigarette électronique est souvent présentée comme une alternative à la cigarette "classique". Selon vous, présente-t-elle de réels avantages en matière de sevrage tabagique ?

Dr Laurent Karila* : "La cigarette semble effectivement aider certains fumeurs, et constituer un outil de réduction des risques. Il y a 500.000 usagers de l'e-cigarette en France, ce qui est loin d'être négligeable. Selon certaines études encourageantes, l'e-cigarette réduirait les symptômes de sevrage liés au manque de nicotine (nervosité, difficultés à dormir, prise de poids, difficultés à rester en place, etc.) et aiderait les fumeurs à stopper leur consommation.

"Selon des études comparatives avec placebo, l'e-cigarette réduirait le craving (l'envie irrésistible de consommer le tabac). L'étude prospective ECLAT, réalisée sur douze mois, a récemment montré que chez 300 fumeurs ne souhaitant pas arrêter, l'utilisation d'e-cigarettes, avec ou sans nicotine, réduisait la consommation de tabac et encourageait à maintenir une abstinence en tabac sans effets secondaires significatifs. Des travaux publiés en septembre 2013, dans The Lancet, suggèrent également que la cigarette électronique est comparable au patch à la nicotine pour aider les fumeurs à arrêter, sur une période d'au moins 6 mois."

  • Peut-on devenir "accro" à la cigarette électronique ?

Dr Laurent Karila : "L'e-cigarette peut être source d'addiction pour plusieurs raisons : la nicotine (lorsque la cigarette dispense cette substance), le comportement et la sensation provoquée par la fumée.

"La nicotine, pour commencer, est addictive surtout si elle pénètre rapidement dans l'organisme. Dans le cas de la cigarette électronique, la nicotine arrive au cerveau en 7 à 8 secondes. Le comportement et les rituels du fumeur sont aussi à prendre en compte comme chez les fumeurs de tabac "standard". L’impression laissé par le passage de la fumée dans la bouche et la gorge est un effet renforçant recherché par le vapoteur."

  • La vente libre de cet objet "addictif" pose-t-elle problème, selon vous ?

Dr Laurent Karila : "Non, car pour le moment, c'est un outil de réduction des risques à court et moyen terme. De nombreux professionnels s'accordent sur un point : l'e-cigarette est moins dangereuse que la cigarette vendue dans les bars-tabacs. Les produits cancérigènes de la fumée de l'e-cigarette ont des concentrations 9 à 450 fois inférieures à celles retrouvées dans une cigarette standard. Il n'y a juste pas assez de recul sur ses effets à long terme et sur la composition des produits retrouvés dans les différentes cigarettes électroniques vendues. En matière d'addiction, il est possible, par extrapolation, de retrouver ce que l'on connaît déjà pour la nicotine.

"Quoi qu'il en soit, il faut interdire la vente aux mineurs car cela peut être un mode de début de consommation précoce d'une substance, et générer des problèmes addictifs à long terme. Il faut en interdire la publicité et poursuivre les travaux de recherche sur ses effets à court, moyen et long termes.

"Par ailleurs, il faut rester prudent sur l'indication d'utilisation de masse : si l'e-cigarette est déjà utilisée par les patients, il faut leur dire d'en avoir un usage limité dans le temps. Il faudra également prévoir une campagne d'information sur les effets, les bénéfices et les risques liés à l'usage de la cigarette électronique, et créer une nouvelle dénomination pour ce type de produit de lutte contre le tabagisme."

 

*Le docteur Laurent Karila est co-auteur, avec Annabel Benhaiem, de l'ouvrage Accro, édité chez Flammarion (2013)

 

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