L'art délicat du ''pisser sans éclabousser''

Des spécialistes étasuniens de la dynamique des fluides étudient depuis plusieurs années l'art et la manière "de ne pas en mettre partout". A l'occasion du dernier congrès de la Société américaine de physique, ils révèlent les résultats de ces travaux, salvateurs pour les utilisateurs de WC du monde entier.

Florian Gouthière
Rédigé le
L'art délicat du ''pisser sans éclabousser''

Quel est le meilleur angle de tir ? La nature de la surface atteinte modifie-t-elle la fragmentation du jet ? A la tête d'un laboratoire de physique dans l'Utah - le bien nommé SplashLab - le professeur Tadd Truscott étudie depuis trois ans, avec une rigueur toute scientifique, la dispersion des éclaboussures d'urine au fond des cuvettes des toilettes.

Facétieux ? Assurément, comme le démontre une savoureuse interview accordée ces derniers jours à la BBC. Potache ? Pas tout a fait. La dispersion des gouttelettes d'urine est un sérieux objet de préoccupation en milieu hospitalier. Certaines bactéries résistantes éliminées dans ce fluide corporel - telles que Clostridium difficile - se retrouvent en effet dans la bruine formée après l'impact. Elles s'échappent ainsi des vasques de faïence pour se déposer ailleurs, sur des surfaces qui pourront être touchées par des personnes fragiles.

Certains dispositifs en plastique hérissés de picots sont parfois disposés au fond des urinoirs pour réduire les projections. Leur efficacité reste cependant très partielle, comme l'a constaté l'équipe du Pr Truscott (1) à l'aide d'un réceptacle transparent, d'un système de jet orientable et de caméras ultrarapides.

Ce splendide attirail a surtout permis aux scientifiques d'analyser le produit de la miction sous tous les angles.

Simulant toutes les caractéristiques d'un jet d'urine masculin "moyen", les chercheurs ont découvert que la "colonne" de liquide se rompt 15 à 18 centimètres après son point d'émission (2). La discontinuité du jet favorise la formation ultérieure de gouttelettes lorsque l'urine entre en contact avec une surface. Aussi paradoxal que cela puisse paraître de prime abord, se soulager à une distance rapprochée de l'urinoir constituerait donc une première stratégie efficace pour ne pas vaporiser son urine et, accessoirement, souiller son pantalon.

Corolaire de cette découverte : mis face à une cuvette de toilette, les heureux détenteurs d'un pénis sont invités à uriner assis, afin de réduire (par cinq !) la longueur du jet.

Angle d'attaque

Ces messieurs pouvant orienter leur jet à l'envi (3), ils sont également à même de modifier l'angle avec lequel l'urine frappe la faïence (ou le tronc d'arbre, ou le mur de béton). L'équipe du SplashLab a constaté qu'une attaque frontale, parfaitement perpendiculaire à la surface, produit un nombre invraisemblable - et déraisonnable - de gouttelettes. Pour minimiser les éclaboussures, il convient à l'inverse de choisir un angle d'incidence très faible.

La matière contre laquelle s'écrase l'urine constitue enfin un facteur déterminant dans la formation des gouttelettes. Des travaux en cours au SplashLab suggèrent que la porcelaine est un mauvais allié de l'homme délicat. Il s'agit en effet d'une surface relativement hydrophile (qui possède une affinité avec l'eau qui entre dans la composition de l'urine). Le liquide qui entre en contact avec cette matière tend à s'amalgamer en flaque, tandis que le jet continue d'arriver. La flaque d'urine est alors inévitablement pulvérisée. Le plus difficile pour les physiciens étasuniens reste désormais de découvrir une surface à la fois hydrophobe, peu coûteuse et facile à nettoyer pour équiper le WC de demain.

Dans l'attente de ce futur radieux, les chercheurs révèlent qu'une méthode alternative - incroyablement efficace - pour diminuer les éclaboussures se trouve littéralement à portée de la main de tout utilisateur de toilettes : elle consiste à déposer plusieurs feuilles de papier hygiénique dans la cuvette, et de les viser avec un jet de puissance modérée.

(1) Les quatorze membres du SplashLab sont, de façon tout à fait surprenante, exclusivement des hommes.

(2) Un jet de liquide n’est jamais parfaitement rectiligne, mais oscille imperceptiblement. Si la longueur d'onde de ces oscillations est supérieure à un peu plus de trois fois le diamètre du jet, la colonne de liquide se rompt en gouttes. Ce principe physique est mis à profit dans les imprimantes "à jet d'encre" pour pulvériser celle-ci en gouttelettes sur le papier.

(3) En témoignent, pour les sceptiques, les splendides fresques dessinées "à main levée" dans la neige l'hiver venu.

 

En savoir plus

Sur Allodocteurs.fr :

Les scientifiques du SplashLab ne sont pas les seuls à se préoccuper de cette question. Comme le note la BBC, des chercheurs du MIT ont récemment soumis pour publication des travaux démontrant qu’un jet puissant et la présence de détergents dans la cuvette multiplie le nombre de gouttelettes dispersées dans l’air.