Guillaume Prébois : ''Non, je ne parlerai plus jamais de dopage…''

Guillaume Prébois a milité pendant des années pour un cyclisme propre et honnête. Auteur de plusieurs livres, dont L'Autre Tour, le récit de son Tour de France à l'eau claire, le journaliste cycliste a décidé de jeter l'éponge, estimant que la bataille contre le dopage est perdue d'avance. Il s'en explique dans cette tribune publiée il y a quelques jours sur son blog.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Guillaume Prébois : ''Non, je ne parlerai plus jamais de dopage…''

Chers amis,

La lutte contre le dopage a été l'un des grands combats de ma vie. J'ai tenté, à mon échelle, de lancer l'alerte et de faire bouger les choses. J'ai fait ce que j'ai pu... A partir de ce jour, je dépose les armes. Explication.

Le valeureux Don Quichotte, épique héros de Cervantès, a perdu la raison après avoir combattu corps et âme contre les moulins à vent. Fou à lier, le Chevalier à la Triste Figure est revenu chez lui. Fin des aventures qu’il chérissait tant.

Lutter contre le dopage, la malice diffuse, les maquignons de la fiole et de la seringue, les faux-culs en tout genre et le « Système » - comprenez la collusion tacite et l’omerta soigneusement entretenue par organisateurs, coureurs et managers - a fini par m’épuiser. Je m’arrête donc avant le grain d'ellébore. C'est décidé, je n’écrirai plus jamais une seule ligne sur le dopage. La guerre est perdue les amis.

J’ai toujours aimé être du côté de la « Vérité », non parce qu’elle est juste moralement, mais parce qu’elle est la seule issue. On ne construit rien sur le mensonge.  Les menteurs, les tricheurs de tout poil, les escrocs, les profiteurs mais aussi leurs complices taiseux, bref ce troupeau d’hypocrites à gifler m’a toujours révolté. A défaut de caresser l’utopie d’un monde meilleur, j’ai simplement essayé de traverser le nôtre en évitant les projections d’excréments. Alors oui, mes vêtements blancs faisaient ricaner ceux qui se vautraient dans la boue, la conscience brûlée au fer rouge, insensibles, adeptes du "tout est permis", du "pas vus pas pris".

Persona non grata

J'ai combattu le dopage pendant plusieurs lustres et j’ai rapidement compris que j’avais choisi le camp des perdants. J’ai perdu ceux que je croyais être des amis et trouvé une armée d’ennemis. Impossible de continuer à travailler sur les courses. Je posais les mauvaises questions. Je dérangeais. Persona non grata. « Faut pas briser le rêve m’sieur… ». J’ai été menacé, intimidé, pourchassé, insulté. Récemment, un type m’a reproché d’avoir gagné ma vie grâce au dopage… Un peu comme si on accusait un médecin de s'enrichir grâce au cancer! C'est exactement le contraire: j'ai perdu de l'argent et des opportunités de carrière. Mes livres racontent des voyages à vélo, et sont généralement lus par ceux qui s'intéressent à l'évasion, royalement indifférents à l'agitation malsaine qui règne dans le panier de crabes du professionnalisme. C'est à cette voie, le récit de voyage, que je souhaite me consacrer totalement dorénavant.

Le cyclisme comme une saucisse

Sollicité par des médias pour réagir sur des affaires de dopage (dernièrement Al Jazeera), j’ai souvent décliné pour ne pas devenir ma propre marionnette, le Guignol qui fait le tour des plateaux pour servir une phrase ou une analyse décapante, animer les débats entre deux pages de pub. Je connais trop le fonctionnement des rédactions radio / tv : « Dis, Armstrong a avoué, qui on appelle pour réagir ? Mondenard ? Ballester ? ». En réalité, tout le monde se moque de ce que vous direz. L’antidopage ne fait pas recette, vous êtes l’empêcheur de tourner en rond, l'acariâtre de service, le pénible qui revient. Ecoutez le public sur le bord des routes du Tour et vous comprendrez. Panem et circenses, du pain et des jeux, le cyclisme comme les saucisses: "on aime ça, mais on ne veut surtout pas savoir avec quoi c'est fait".

Les organisateurs de courses veulent du spectacle (donc du dopage). Les coureurs veulent de l'argent, donc des résultats (donc du dopage). Les médias veulent le grand "show", des attaques pendant trois semaines (donc du dopage). L'Union Cycliste Internationale (UCI), veut éviter les scandales pour ne pas tuer la poule aux œufs d'or (donc ne pas parler de dopage). Les gouvernements ont pris leur distance en calmant les ardeurs investigatrices de leurs polices. Même le grand public a intégré l'idée que le dopage est une réalité incontournable (une affaire de dopage ne scandalise plus personne).

Pas un seul encouragement des politiques ou des institutions

En 2007, j’ai mis les pieds dans le plat avec « L’Autre Tour ». On me l’a reproché. On m’a accusé de tout et n’importe quoi. Personne n’a compris le message.. « C’est qui ce mec ? Pour qui il se prend ?» La plupart des journalistes de la salle de presse m’ont tourné le dos. On n’aime pas trop les gens qui crachent dans la soupe. « Le cyclisme nous fait vivre garçon ». Ils préfèrent taper sur l’épaule des coureurs au village-départ après une douzaine d’huîtres pour fêter le 20ème Tour d’un collègue. Il est si agréable de traverser la France en note de frais…Je n'ai jamais reçu un seul encouragement des sphères politiques ou institutionnelles, à gauche comme à droite, et les grands sponsors m'ont gentiment évité pour ne pas s'associer à une voix discordante, "vous comprenez monsieur, le Tour est une si belle fête"... 

Les dopés gagnent sur tous les fronts

Les dopés gagnent sur tous les fronts. Ils empochent d’abord honneurs et dollars en alignant les victoires. Une fois tombés (s’ils tombent…), ils vendent leur confession à un hebdomadaire à gros tirage puis écrivent un livre pour raconter « leur » vérité, ensuite ils deviennent consultants, homme-image pour une marque de montres... Parfois, des sponsors ont même l’inconscience de leur confier des millions pour créer une équipe pro (Bjarne Riis, heureux manager de Saxo Bank et Alexandre Vinokourov chez Astana).

La miséricorde du "milieu" est sans fin. J’ai entendu Tyler Hamilton renoncer à son objectivité et bénir Chris Froome (« je crois en lui ») alors que l’Anglais grimpe le Ventoux plus vite qu’Armstrong. Le bon Tyler se remet dans le sens du vent. J’ai vu que les tests de l’Agence Française de Lutte contre le dopage ne faisaient plus peur à personne (aucun contrôle positif sur le 3ème Tour le plus rapide de l'Histoire avec le record de coureurs à Paris...) J’ai lu sur le Canard enchaîné que les douanes avaient reçu une circulaire leur demandant d’éviter le zèle cet été. J’ai entendu des experts nous expliquer que le cyclisme, aujourd’hui, roule plus vite que jamais, mais qu’il est propre. Festina, Landis, Contador, Armstrong n’ont donc servi à rien. A rien.

Les labos ont 10 ans de retard

Une dernière fois, j’ai voulu me rebeller, réagir, repartir pour une croisade. J’ai appelé un ami de la brigade des stupéfiants en Italie. Il m’a répondu: « Guillaume, laisse tomber, il faudrait changer les cerveaux et on ne sait pas le faire ». Son collègue de service vient de partir à la retraite, usé par des années à démanteler des réseaux qui se reformaient dès le lendemain comme les toiles d'araignée.

L’heure est venue, pour moi aussi, de tourner la page. Le dopage était, est et sera. J’ai tenté, dans mon coin, de crier et dénoncer. Toutefois, nager à contre-courant finit par vous tuer (demandez aux saumons). A l'heure où j'écris ces lignes, de nouvelles molécules sont testées dans le peloton. Les laboratoires antidopage ont dix ans de retard.

Non, je ne parlerai plus jamais de dopage (et bon courage à ceux qui le feront).

Messieurs les dopés, je vous quitte avec une dernière question, tirée de l’Evangile de Matthieu : « Quel est le profit d’un homme si, pour conquérir le monde, il y perd la vie ? ».

Guillaume Prébois

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