Euthanasie : qu'en pensent réellement les patients ?

Peut-on jauger le sentiment des Français à l'égard de l'euthanasie à l'aide un sondage ? Oui, selon l'Ifop, qui estime que 86% des Français seraient favorables à une loi légalisant l'euthanasie. Un groupe de médecins, d'infirmières et de kinésithérapeutes de l'Institut Curie, le centre de cancérologie parisien, s'est senti visé par ce résultat. Décryptage d'un sondage. 

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le
Entretien avec Martine Ruszniewski, psychologue à l'Institut Curie à Paris
Entretien avec Martine Ruszniewski, psychologue à l'Institut Curie à Paris

Ce collectif de praticiens en cancérologie de l'Institut Curie profite du sondage pour mettre le doigt sur le malaise qui existe souvent entre eux et les patients quand la fin de vie approche. "Comment ne pas entendre une certaine perte de confiance envers nous, les soignants, et la crainte de ne pas être bien pris en charge, écoutés, entendus et soulagés jusqu'au bout de la vie ?"

Parmi tous les débats médicaux, la question de l'euthanasie est celle qui insiste le plus sur la relation de confiance entre les patients et le personnel médical. Et dans ce domaine, il y a encore du travail à faire.

La loi Leonetti, qui encadre la fin de vie, prévoit bien que chaque décision soit prise "collégialement" entre le personnel médical, le patient et les proches. La loi prévoit aussi la "collégialité" au sein de l'équipe médicale, entre les spécialistes.

Recouper les avis de ceux qui soignent un même patient est prépondérant pour traiter plus justement, surtout quand on se trouve dans une impasse thérapeutique. Plus on approche de la fin, plus il doit y avoir concertation, transparence et traçabilité dans les décisions. C'est en substance ce que dit la loi. Dans les faits, on est souvent loin du compte.

Une réalité beaucoup plus complexe que le résultat d'un sondage

Le personnel médical qui s'exprime dans le journal quotidien Libération ("Fin de vie en cancérologie : un décalage entre les sondages et le quotidien des soignants") dit être confronté à une demande paradoxale. Les Français, par ce sondage, disent vouloir décider du moment de leur mort. Soit. Mais les signataires de cette tribune remarquent plutôt en général, en cancérologie, une volonté farouche d'acharnement thérapeutique venant des patients en fin de vie, même quand les traitements sont devenus inutiles.

Il semblerait donc que l'on change d'avis selon que l'on soit bien portant, chez soi, répondant à un sondage téléphonique, ou alité, rongé par la maladie et les souffrances. Ce qui peut aisément se comprendre.

Les soignants remarquent également que les demandes d'euthanasie de la part des patients sont souvent transitoires et qu'elles correspondent à de mauvais passages, ce qui n'empêche pas, selon eux, de laisser le débat ouvert. Mais alors, poursuivent-ils, si l'euthanasie est un jour légalisée, "quel message sera alors reçu par les plus fragiles rendus « euthanasiables » : ai-je encore ma place dans la société ? Dois-je demander la mort pour soulager ma famille ?"

Ces cas de conscience montrent que la réalité est beaucoup plus complexe que le résultat d'un sondage. Gardons-nous des simplifications et des facilités trompeuses comme au sujet de la sédation. La sédation est souvent assimilée, à tort, par les familles, comme un moyen d'euthanasier. Or, la loi est claire. La sédation vise à soulager le patient et à respecter sa dignité même si, comme le reconnaissent les soignants, dans cette tribune, "les traitements provoquant une sédation (…) peuvent accélérer le décès". C'est l'intention qui fait toute la différence. Soulager oui. Donner la mort non.

L'inégalité d'accès aux soins palliatifs et la mauvaise connaissance de la loi "sur la fin de vie" sont les principales causes de ces malentendus entre une majorité de Français et le personnel médical.

Pas de miracle, trop de croyances

L'autre obstacle à des relations plus saines, quand la maladie l'emporte, ce sont les croyances et les tabous encore vivaces aussi bien chez les patients, chez leurs proches, qu'au sein des équipes médicales.

Quand la médecine ne peut plus rien pour soigner un patient, on s'accroche encore trop souvent aux miracles alors qu'il faudrait regarder la mort en face. S'attacher, autant que possible, à soulager la douleur et respecter la dignité plutôt que prodiguer des soins parfois lourds alors que que les soignants les savent inutiles. Pour remédier à cela, ni les sondages ni la loi ne peuvent grand-chose.


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