Des égouts et des drogues

La mesure de résidus de multiples drogues dans des échantillons d'eaux usées provenant de plusieurs zones urbaines françaises démontre l'hétérogénéité de la consommation de stupéfiants sur le territoire.

Florian Gouthière
Rédigé le
Des égouts et des drogues

La pratique est désormais courante outre-Manche ou aux Pays-Bas, mais elle n'en est qu'à ses balbutiements en France : des chercheurs du CNRS ont analysé des échantillons d'eaux usées, issus de 25 centres de retraitement français, à la recherche de résidus de drogues illicites. L'intention première des scientifiques : déterminer si des composants dangereux, et difficiles à éliminer par les procédés d'épuration conventionnels, étaient présents dans nos égouts.

L'enjeu sanitaire est de taille. L'étude publiée le 1er septembre 2013 détaille ainsi l'efficacité relative de différentes méthodes de filtrage (biofiltres, boues activées...) pour l'élimination de certains composés. Les chercheurs ont conclu que de nombreux résidus de stupéfiants résistent aux processus d'épuration et contaminent donc les eaux réceptrices. Si les taux qui y sont mesurés sont, pour toutes les molécules, inférieurs aux taux de toxicité, les scientifiques invitent à la vigilance, rien ne garantissant l'innocuité d'une association entre ces substances et d'autres polluants aquatiques.

De nombreux médias ont cependant balayé cette question sanitaire pour mettre en valeur un autre aspect de l'étude. Les analyses du CNRS ont en effet permis de produire des cartes signalant les concentrations de différents types de drogue (cannabis, cocaïne, amphétamines, opiacés, ecstasy) dans les eaux des 25 collecteurs, sur différentes périodes.

"Lille championne de la cocaïne", "Montpellier championne de l'ecstasy"... telle fut la teneur de certains gros titres de la presse régionale ces derniers jours. De nombreux éditoriaux ont cependant invité à prendre du recul par rapport à ces affirmations. Car, rappelons-le, l'étude du CNRS ne porte pas sur tout le territoire, mais bien sur 25 collecteurs en lien avec des zones de plus de 10.000 habitants. De très grandes villes n'ont pas été intégrées au dispositif. Etablir un classement national des consommations sur la base de ces chiffres serait donc partir un peu vite en besogne.

L'étude du CNRS ayant pour finalité d'évaluer l’efficacité des systèmes de filtrage, les auteurs n'ont pas mesuré les variations des types de résidus sur de longues périodes de temps. Les données relatives à la ville de Lille auraient ainsi été collectées durant le pic d'affluence touristique de la Grande Braderie. Les taux de cannabis dans les égouts lillois apparaissent ainsi près de cinq fois supérieurs aux taux moyens relevés à Amsterdam sur 2011 ! Si la solidité et la rigueur du travail du CNRS n'en sont en rien affectées, il n'en est pas de même des conclusions de certains analystes. En l'état, il est impossible d'affirmer que Lille est, au quotidien, une capitale de la cocaïne ou du cannabis.

Pourtant, les cartes éditées en marge de l'étude sont riches d'enseignements. Sud et Nord, zones balnéaires et grandes villes, zones frontalières et arrière-pays ne consomment pas les mêmes types de drogues. Comme l'ont remarqué certains quotidiens, certaines substances semblent de moins en moins consommées lorsque l'on pénètre dans le territoire, évoquant le profil de filières de trafic. Il est également possible d'observer que certaines drogues sont fortement consommées le week-end (ecstasy, cocaïne), et plus spécifiquement dans des zones fortement peuplées. Des variations qui ne s'observent pas pour le cannabis.

Au-delà de sa perspective écologique initiale, l'étude du CNRS (et les débats qu'elle a suscités) démontre l'intérêt du procédé de cartographie des usages de drogues par l'analyse des eaux usées. Un tel outil s'avèrerait en effet pertinent pour identifier les zones géographiques dans lesquelles conduire en priorité des campagnes de sensibilisation, ou pour observer l'émergence de nouvelles pratiques de consommation. Reste aux grandes communes à accepter que des évaluations systématiques soient réalisées : au Royaume-Uni, certaines villes interdisent ce type de prélèvements durant les périodes touristiques, par crainte d'attacher à leur nom une réputation sulfureuse.

Source : Presence of illicit drugs and metabolites in influents and effluents of 25 sewage water treatment plants and map of drug consumption in France. Nefau T, Karolak S, Castillo L, Boireau V, Levi Y. Sci Total Environ, septembre 2013 doi: 10.1016/j.scitotenv.2013.05.038

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