Cancer : courage, fuyons…

Les signes sont là, le corps parle... mais ils ne l'entendent pas. Ou ne veulent pas l'entendre. Un nombre non négligeable de patients atteints d'un cancer ignorent leurs symptômes et ne consultent pas de médecin. Derrière ce constat, une histoire personnelle et des schémas psychologiques qui sont propres à chacun.

Héloïse Rambert
Rédigé le , mis à jour le
Cancer : courage, fuyons…

Attendre. Attendre encore… Certains patients, malgré des signes alarmants pouvant évoquer le cancer, repoussent la consultation, au risque de mettre leur vie en danger.

D'après une étude menée au Royaume-Uni par l'Institut de Recherche contre le Cancer, 11 500 personnes meurent chaque année du cancer dans le pays, pour cause de prise en charge trop tardive, alors qu'une consultation plus précoce aurait pu les sauver. Et ce constat n'a bien sûr rien de spécifiquement britannique.

Des signes évocateurs qui ne poussent pas à consulter

Certains cancers, il est vrai, se manifestent de manière peu spécifique. C'est le cas, par exemple, du cancer du pancréas dont les signes digestifs peuvent être assimilés, du moins pendant quelques temps, à un problème plus bénin. D'autres signes, en revanche, sont beaucoup plus évocateurs : sang dans les selles, masse au sein, toux persistante sur un terrain tabagique… Pourtant un certain nombre des patients qui présentent ces symptômes ne consultent pas.

Pourquoi ? Qu'est-ce qui les maintient dans cette inertie et cette passivité devant les symptômes. Peur ? Inconscience ? Ignorance ? 40 % des 2000 personnes qui ont participé à l'étude anglaise ont déclaré être susceptibles de repousser la visite chez le médecin par peur de ce que celui-ci pourrait éventuellement trouver. Les autres évoquent, pêle-mêle, la peur de faire "perdre son temps" à leur médecin, ou la non-reconnaissance des signes du cancer…

Les raisons psychologiques qui aboutissent à une non-consultation sont multiples, complexes et spécifiques de chaque cas.

Le cancer et nous : une histoire de représentation

Le cancer, nous nous en faisons tous une idée. Une idée qui nous est propre. La plupart du temps il s'agit d'une maladie redoutée. Mais notre vision du cancer est extrêmement liée à l'expérience que nous avons faite de la maladie, dans notre vie personnelle ou sociale. Et une expérience traumatique peut amener à une telle peur de la "parole médicale" que la consultation d'un médecin face à des signes inquiétants en devient impossible.

"Une personne qui, par exemple, a vu un de ses parents souffrir et mourir du cancer peut développer une peur phobique de la blouse blanche" déclare une psychologue clinicienne en oncologie à l'hôpital Saint-Joseph à Paris.

Déni, rationalisation… et autres subterfuges psychologiques

"Nous se sommes pas toujours des êtres rationnels et logiques. Devant une situation qui menace notre intégrité et nous inquiète, nous développons des mécanismes automatiques conscients ou inconscients, appelés mécanismes de défense", explique par ailleurs Stéphanie Podgorski, psychologue en oncologie au centre hospitalier régional de La Citadelle à Liège. "Pour mieux s’adapter à cette situation traumatique que représente l’éventualité d’une maladie grave, le patient cherche à se protéger du sens de la réalité et de ce qu’il vit, en faisant en sorte de modifier une situation de détresse en une situation de moindre mal", continue-t-elle.

Et le psychisme humain est plein de ressources pour éviter de se confronter à la réalité. Les états d'"évitement" peuvent revêtir plusieurs aspects et se manifester à différents niveaux. Dans les cas les plus extrêmes, le malade qui s'ignore peut être dans le déni complet des signes. "Pour ces patients, les symptômes n'existent pas. Tout simplement pas. Ce sont souvent des personnes fragiles, incapables de se confronter au monde réel", affirme la psychologue clinicienne en oncologie de l'hôpital Saint-Joseph.

A un degré moindre, les mécanismes de défense sont nombreux et variés. De la dénégation ("Je vois bien qu'il y a quelque chose qui cloche, mais je ne fais rien de cette constatation"), à la minimisation ("Ce n'est vraiment pas grand chose, ça va pas passer"), ou encore la rationalisation ("J'ai une boule dure sous la peau. Logique : c'est parce que je me suis fait piquer par cet insecte…), l'esprit ne manque pas de moyens de protection.

Pas tous égaux face à notre santé

Tout est aussi question de vigilance et de respect pour son corps. Et sur ce point, les inégalités sont criantes. "Certaines personnes n'ont pas été habituées à prendre soin d'elles mêmes et cette attitude de non respect, acquise par l'expérience ou par l'éducation, favorise le retard dans la consultation", indique Stéphanie Podgorski. "Les personnes en grande précarité, ou celles qui sont en situation de dépendance alcoolo-tabagique, sont aussi à risque."

"Il peut y avoir un manque d'éducation, une méconnaissance en matière de santé. Même si les campagnes de sensibilisation au cancer sont omniprésentes dans les médias", continue la psychologue clinicienne en oncologie de l'hôpital Saint-Joseph. Difficile de démêler la part de protection psychologique de la simple ignorance. "C'est évidemment du cas par cas", rappelle-t-elle.

Causes psychiatriques

Autre personnes à risque : celles atteintes de troubles de la personnalité, de l'humeur (dépression…) ou celles atteintes d'un véritable trouble anxieux généralisé. Pour la psychologue liégeoise, "certaines personnes, fragiles et habituées à fonctionner sur ce mode anxieux, développe une peur de se confronter à la réalité. Dans ce cas, c'est une manière d'être par rapport au monde, qui les amène à reculer la consultation."

Après l'annonce du diagnostic, les réactions de ces patients particuliers sont diverses. Mais la culpabilité peut être au rendez-vous. La psychologue clinicienne en oncologie de l'hôpital Saint-Joseph a été marquée par cette patiente qui avait trop attendu avant de consulter, alors qu'elle avait une boule au sein : "A la suite du diagnostic, elle a été rongée par la culpabilité. Pour elle, c'était vraiment une double peine."


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